Patrick Le Tréhondat, Varvara Borysenko
Plus de 25 % des écoliers actuellement en Ukraine sont privés de la possibilité d'étudier pleinement en raison des opérations militaires et des attaques régulières de missiles russes. Ainsi, en avril 2024, 628 489 enfants en Ukraine étudiaient à distance et 298 833 autres étudiaient dans un format mixte (en partie à l’école, en partie en ligne). 2 727 483 enfants fréquentent régulièrement l'école. Plus de 5 000 écoles ont été totalement ou partiellement détruites en Ukraine. La vie des lycéens a été bouleversée par la guerre. La jeunesse ukrainienne ne peut plus s’épanouir pleinement. Ils et elles sont constamment en danger en raison de l’impitoyable pilonnage que fait subir la Russie à leur pays.
Varvara Borysenko, jeune lycéenne ukrainienne, militante de PriamaDiia, a bien voulu répondre à nos questions sur sa vie de lycéenne dans un pays en guerre.
Patrick Le Tréhondat
Peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
Bien sûr ! Je m'appelle Varvara, j'ai 16 ans, et je viens de Kharkiv, une ville située à l'est de l'Ukraine. Ici, nous avons 11 années d'études à l'école, donc je suis actuellement en 10e (pour bien vous expliquer, c'est l'équivalent de la première classe de lycée dans votre système éducatif, il me reste donc encore un an et demi à passer au lycée). D'ailleurs, je suis une excellente élève ! En ce moment, je réside chez mes grands-parents, qui vivent dans une région un peu plus calme (même si ce mot "calme" ne s'applique pas vraiment à n'importe quelle région ukrainienne) que celle d'où je viens.
En quoi la guerre a changé ta vie ? Mais aussi tes conditions d’études ?
Je dirais que la guerre a changé beaucoup de choses dans ma vie. Mes parents et moi avons pris la décision de quitter Kharkiv dès le premier jour du conflit, car il était trop dangereux d'y rester. Je me souviens très bien de cette journée monstrueuse... Ma mère m'a réveillée en me disant que l'invasion russe avait commencé, et qu'elle et mon père avaient déjà entendu des explosions très tôt le matin. Il n'y avait plus rien dans les magasins, la circulation était incroyablement dense... Il nous (moi, mes parents, notre chat) a fallu 12 heures pour parcourir seulement 250 kilomètres !
Concernant mes études, j’ai des cours en ligne (comme tout le monde l'a fait pendant le confinement à cause du Covid). Cela a ses avantages, car j'ai plus de temps libre et je le passe davantage avec ma famille ! Mais parfois, l'interaction "réelle" avec mes camarades de classe me manque... Par exemple, l’une de mes amies est partie en Autriche. Nous ne parlons plus aussi souvent qu'avant, ce qui me rend triste. C'est pour ça que j'ai beaucoup d'amis en ligne.
Quels sont les plus importants problèmes que tu rencontres dans ta vie quotidienne ?
La question de la sécurité se pose chaque jour... Tu ne sais jamais si tout va bien se passer pendant une simple promenade. Il y a beaucoup d'alertes aériennes, qui nous avertissent du danger d'être dehors : on doit se cacher, il y a un risque d'attaque russe. Vivre avec d'autres membres de la famille, et pas seulement avec ses parents, peut aussi être difficile parfois. Ma vie d'avant-guerre me manque, même si j'essaie d'apprécier tous les moments du quotidien sans trop me concentrer sur le passé.
Comment les autres lycéens réagissent à la guerre ? De quoi souffrent-ils le plus ?
Ça dépend d'où leur lycée est situé. Beaucoup de lycéens et lycéennes vont à l'école dans des régions considérées comme plus sûres, mais ils sont confrontés au problème des interruptions de cours à cause des alertes aériennes. Ceux qui ont des cours en ligne les sèchent quand il n'y a pas d'internet ou d'électricité.
Que peut-on avoir aujourd’hui comme loisirs lorsqu’on est une jeune lycéenne en Ukraine ?
J'ai des ami(e)s qui dansent, qui font du football, etc. Mais la sécurité reste la priorité absolue. Personnellement, je préfère passer mon temps soit en me promenant dans la ville, soit en faisant quelque chose à la maison. J'ai une énorme admiration pour le cinéma, donc je regarde beaucoup de films, surtout francophones, comme ceux de Jean-Luc Godard, Louis Malle, Philippe Garrel, Chantal Akerman, etc. Cela m'aide à pratiquer la compréhension orale de la langue française ! Et puis, je dessine, je lis, et je tire même les cartes de tarot.
Tu es membre du syndicat PriamaDiia. Pourquoi ?
Je vois que les réformes néolibérales ne font que détruire notre système d'enseignement supérieur. Ma mère est professeure d'histoire de l'art dans l'une des universités de Kharkiv. Le stress de la guerre, ajouté à ces réformes, rend le travail des enseignants insupportablement difficile. Les étudiants, de leur côté, en souffrent aussi, car l'éducation devient de plus en plus inaccessible. Je veux être utile à la société, améliorer les conditions de vie des étudiants et des professeurs, et rendre l'éducation de meilleure qualité et plus accessible à toutes et tous !
Priama Diia me donne cette opportunité de m'engager pour une noble cause. J'adore communiquer avec les gens, c'est pourquoi, au sein de notre syndicat, je travaille à l’accueil des nouveaux adhérents du syndicat ainsi qu'au département des relations internationales, car je parle anglais et français.
Les lycéens ont-ils des revendications particulières ?
C'est triste à dire, mais d'après mon expérience avec mes camarades de classe, les lycéens ne s'intéressent pas vraiment à l'activisme, même lorsqu'il s'agit de sujets qui les concernent. Je fais partie du gouvernement lycéen dans mon école, et nous gérons souvent des problèmes très triviaux, comme réaliser une vidéo pour saluer nos professeurs à l'occasion de la Journée des Professeurs, etc.
Quels problèmes par exemple se posent dans ton lycée ?
Lorsque les Russes bombardent des infrastructures énergétiques civiles, il peut y avoir des coupures de courant prolongées à Kharkiv. Pendant ce temps, il n'y a pas de cours, car les élèves et les enseignants qui se trouvent en ville ne peuvent pas se concentrer là-dessus. Ils doivent s'assurer d'avoir de la nourriture, de l'eau, et un minimum de lumière, que ce soit par des bougies ou des lampes fonctionnant sur batteries. Cela se produit aussi dans d'autres villes, bien sûr.
Comment vois-tu ton avenir ?
Je veux devenir cinéaste, réalisatrice de films. Le cinéma est ma passion absolue. À travers mes projets cinématographiques, je souhaite partager ma vision du monde pour le rendre plus sensible, plus sincère, plus gentil, afin que les gens commencent à apprécier l'art plus profondément et cessent de le consommer sans réfléchir.
J'envisage de faire mes études en France pour vivre une expérience à l'étranger, car les cultures des autres pays me fascinent, et pour établir de nouveaux contacts pour Priama Diia aussi ! Ensuite, je verrai ; je ne veux pas trop prévoir. Je peux seulement dire que je suis certaine de ne jamais vouloir quitter l'Ukraine pour toujours. C'est un pays auquel je tiens énormément.
Mon message à ceux qui lisent cette interview est de continuer à soutenir l'Ukraine dans sa lutte contre l'impérialisme russe et de ne jamais oublier les luttes des autres nations opprimées dans le monde. Aucun de nous n'est libre tant que nous ne sommes pas tous libres. Et aussi soyez plus aimables et plus attentifs envers ceux qui vous entourent !