Alexander Kitral, Propos recueillis par Patrick Le Tréhondat, Illustration : Katya Gritseva
Alexander Kitral est journaliste pour le site Commons. Il pratique un journalisme d’investigation sociale et donne la parole aux sans-voix ou sans droits dans une Ukraine en guerre. Pour autant, il ne sombre pas dans le misérabilisme et met en avant les expériences positives où les exploité·es et les domin·ées trouvent part eux-mêmes les moyens de résoudre leurs problèmes. Ses articles nous parlent de solidarité, de coopération, d’entraide et d’humanité. Valeurs essentielles dans un pays en guerre et qui deviennent, on le comprend dans ces écrits, les seuls moyens de survivre. Il a bien voulu répondre à nos questions.
Peux-tu te présenter à nos lecteurs
Je m’appelle Alexander Kitral, j’ai 39 ans. J’habite à Kyiv. J’ai commencé à travailler comme journaliste en 2005, lorsque j’étudiais à l’Institut de journalisme de l’Université nationale Taras Shevchenko de Kiev. Depuis, j’ai publié dans de nombreuses publications imprimées ou en ligne. J’ai également acquis de l’expérience en travaillant à la télévision et dans une agence de presse.
Tu as publié de nombreux articles pour Commons sur des questions sociales : sur les travailleuses sociales, sur l’école et l’hôpital, sur les personnes handicapées, le logement, le travail. Pourquoi ce choix alors que l’Ukraine est en guerre ?
Mais sur quels sujets faut-il écrire pendant la guerre? Je m’intéresse à la vie et au développement de la société, à son potentiel. Ce sont donc des sujets qui permettent de mieux comprendre et d’accompagner la société et qui me semblent les plus pertinents. Les hostilités prendront fin tôt ou tard et il faudra reconstruire le pays. Pour ce faire, il faut comprendre quels mécanismes de développement dans la sphère sociale ne correspondent pas pleinement aux réalités d’aujourd’hui et a fortiori de demain afin de les améliorer.
Pour écrire ces reportages tu as dû te délacer en Ukraine ? Qu’est ce qui t’a le plus surpris pendant ces déplacements ?
Pour connaître l’opinion d’une personne, il n’est pas nécessaire de la rencontrer. Je communique avec tous mes héros ou héroïnes de différentes régions d’Ukraine exclusivement par téléphone. C’est un moyen rapide d’obtenir des informations. Croyez-moi, nombreu·ses sont ceux ou celles qui acceptent de parler de leurs difficultés et de partager leurs réflexions sans rencontrer un journaliste en personne. Ce qui est surprenant par rapport à la période d’avant-guerre, ce sont certains changements qui sont perceptibles dans l’attitude de certaines personnes face à la réalité qui les entoure. C’est un nouveau regard sur la vie, les valeurs matérielles, les relations les uns avec les autres, les valeurs de la vie. Cela se manifeste le plus clairement parmi les personnes qui ont vécu des situations critiques. Par exemple, les personnes qui ont survécu au siège de Marioupol. Au cours des entretiens, certains héros ou héroïnes ont admis qu’elles/ils commençaient à valoriser davantage des choses aussi simples que : la nourriture simple, le logement, la famille. Parce que dans une situation critique, votre argent et vos relations ne valent rien. Beaucoup ont également souligné le désir de s’impliquer davantage pour soutenir celles ou ceux qui traversent des moments difficiles. À Marioupol et dans d’autres localités où se sont déroulés des combats acharnés, l’entraide est la base de la survie d’un groupe. Il est très difficile de survivre seul dans de telles situations.
Dans tes articles, tu expliques comment les gens se sont auto-organisés pour faire face à leurs problèmes. Tu cites parfois l’exemple des coopératives. L’Ukraine au début du 20e siècle a connu un fort mouvement de coopératives. Sur la question de l’auto-organisation et des coopératives est-ce vraiment un phénomène important ?
La chose la plus importante dans cette affaire est l’auto-organisation. Ce n’est qu’en unissant leurs forces que les gens pourront atteindre leurs objectifs et protéger leurs droits. Et je cite les coopératives comme exemple de cette auto-organisation, tout comme l’union des gens dans des organisations, des syndicats, des associations ad hoc pour atteindre des objectifs communs. J’aime l’exemple des coopératives comme illustration d’une association durable. Dans mes articles, je ne fais pas la promotion des coopératives comme nouvelles forme d’agriculture par exemple ou comme source de résolution des problèmes financiers des gens. Le mouvement coopératif, comme vous l’avez noté à juste titre, est déjà apparu à plusieurs reprises dans l’histoire de l’Ukraine et est très populaire dans les pays d’Europe occidentale, principalement en Allemagne. Dans le même temps, les coopératives poursuivent les intérêts d’un cercle limité de personnes, sans résoudre les problèmes urgents de l’ensemble de la société, puisqu’il s’agit d’associations disparates. Je le répète, l’important c’est l’expérience de l’auto-organisation des gens, la protection des intérêts communs, la capacité des gens à participer au soutien des autres – c’est ce qui m’attire dans l’exemple des coopératives.
Tu dénonces également la politique anti-sociale du gouvernement. En quoi penses-tu qu’elle affaiblit la défense de l’Ukraine face à l’agression impérialiste russe ?
À ce tournant de l’histoire, la formation d’un nouvel environnement pour le développement est de la plus haute importance. Et l’élément le plus important est la société, sa qualité, ses besoins, sa force, son éducation. Et malheureusement, le gouvernement, dans cette compréhension, sous-estime le potentiel de la société. De plus, cela s’applique non seulement à l’Ukraine, mais également à d’autres pays.
Quels sont tes prochains sujets ?
Tout ce qui concerne les problèmes aigus auxquels la société est confrontée aujourd’hui. Il s’agit du soutien aux personnes handicapées, de la protection des droits civils, des problèmes d’éducation, de santé, ainsi que d’exemples positifs d’auto-organisation populaire, etc.
Un article d’Alexander Kitral
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