Boris Kagarlitsky, Traduction Rédaction A l’Encontre
Depuis une prison russe, le sociologue Boris Kagarlitsky a écrit la lettre ouverte qui suit afin de soutenir une large campagne de solidarité avec les prisonniers politiques russes de gauche.
Boris Kagarlitsky a lui-même été emprisonné pour cinq ans le 13 février 2024 sur la base d’accusations – forgées de toutes pièces – de «justification du terrorisme». En réalité, son seul crime a été de s’élever contre la guerre menée par la Russie en Ukraine.
Une pétition mondiale appelant à sa libération et à celle de tous les autres prisonniers politiques opposés à la guerre peut être signée ici.
La lettre a été traduite par Renfrey Clarke à partir de la version russe originale. Renfrey Clarke a également traduit le dernier livre de Boris Kagarlitsky, The Long Retreat: Strategies to Reverse the Decline of the Left, à paraître chez Pluto Press.
Dans son rapport à la Douma d’Etat [de la Fédération de Russie], le Premier ministre russe, Mikhaïl Michoustine, a cité une multitude de chiffres témoignant de la croissance de l’économie et de l’amélioration du bien-être de la population. Malheureusement, il existe dans notre pays un autre indice qui ne cesse de croître. Il s’agit du nombre de prisonniers politiques.
Un nombre important des personnes qui sont derrière les barreaux pour leurs convictions politiques appartiennent à des organisations de gauche. Des socialistes, des communistes et des anarchistes, ainsi que des démocrates de gauche qui ne sont membres d’aucun parti ou organisation, sont constamment victimes de la machine répressive. Chaque dossier a bien sûr ses particularités, mais la situation générale est claire. Le mouvement de gauche s’exprime en faveur des droits sociaux et démocratiques, contre le militarisme et l’autoritarisme, et il en paie le prix.
Heureusement, le soutien aux prisonniers politiques dans notre pays devient également un phénomène important. Des milliers de personnes écrivent à ceux qui ont été arrêtés, préparent des colis et envoient de la nourriture ainsi que des vêtements chauds. Il est incontestablement nécessaire de soutenir tous ceux qui, sans recourir à la violence, défendent leurs opinions et subissent de ce fait des persécutions. Nous devons connaître et nous souvenir de tous leurs noms.
Néanmoins, les gens de gauche peuvent et doivent faire plus pour ceux et celles qui partagent des opinions analogues. Le plus important est qu’en combinant nos efforts pour aider les prisonniers politiques, nous contribuons à renforcer le mouvement et à établir une coordination entre les individus et les groupes. Il est beaucoup plus fructueux de travailler ensemble pour aider ceux qui, partageant les mêmes convictions, souffrent pour leurs idées que de poursuivre d’interminables discussions pour savoir qui avait raison dans les discussions politiques soviétiques des années 1920, pour savoir comment considérer Staline et Trotsky, et pour savoir qui doit être considéré comme un marxiste irréprochable et qui comme un réformiste, un opportuniste ou, à l’inverse, un sectaire.
L’unité politique et la maturité politique s’acquièrent au cours de l’activité politique. Dans les conditions actuelles, où l’action politique et l’auto-organisation dans notre pays sont devenues extrêmement difficiles, aider nos «compagnons de pensée» emprisonnés n’est pas seulement un acte humanitaire, mais aussi un geste politique important, un acte de solidarité pratique.
Maintenant que cette initiative [de soutien aux prisonniers politiques de gauche] se concrétise enfin, nous devons tous la soutenir. Nous pouvons et devons nous unir à son sujet. Après ce premier pas, d’autres suivront. Pour que l’avenir devienne réalité, nous devons y travailler dès maintenant.
J’espère vivement que ceux et celles qui partagent mes messages sur les réseaux sociaux et mes lecteurs soutiendront l’initiative unitaire en faveur des prisonniers politiques et de tous les militant·e·s de gauche qui ont souffert de la répression politique. C’est ainsi que nous pouvons gagner!
– Boris Kagarlitsky, 4 avril 2024
(Lettre publiée sur le site Links le 7 avril 2024; traduction rédaction A l’Encontre)