L’héritage progressiste de la République populaire ukrainienne (1917-1921) - 2

Author

Vladyslav Starodubtsev, Publié par Friedrich Ebert Stiftung, Traduction Patrick Le Tréhondat

Date
May 6, 2024

La révolution ukrainienne frappe à la porte

La révolution ukrainienne a surgi sur les territoires de l’Empire russe et de la double monarchie austro-hongroise dans une situation de grande oppression nationale et d’assimilation. Les Ukrainiens constituaient une large minorité dans les deux pays et comptaient parmi les plus pauvres. Dans le même temps, la nation ukrainienne était isolée des villes et de toute sorte d’élite sociale composée de propriétaires fonciers et de groupes économiques capitalistes. Contrairement à ces groupes, l’Ukraine était essentiellement une nation de petits agriculteurs sans terre. La classe ouvrière urbaine ukrainienne était réduite, les classes moyennes et supérieures ukrainiennes étaient encore plus petites. Les villes étaient des instruments d’assimilation et des « îles » de domination russe ou polonaise sur les terres ukrainiennes. Pour la plupart des Ukrainiens, la mobilité sociale dans les villes était soit impossible, soit impliquait une assimilation. En 1919, la population de Kyiv, la capitale de la république, était à 43 % russe, 23 % ukrainienne et 21 % juive. La situation était similaire dans d’autres villes d’Ukraine. Elles étaient difficiles à contrôler politiquement et en même temps elles étaient l’objet de convoitises. Les villes étaient des lieux où le pouvoir était concentré de manière disproportionnée et étaient utilisées comme un outil pour réprimer la majorité ukrainienne, rendant la création de la République populaire ukrainienne une entreprise difficile.

Les conditions particulières de l’Ukraine (qui s’appliquaient également à d’autres pays d’Europe de l’Est, comme les pays baltes) signifiaient que l’oppression sociale et nationale étaient très étroitement liées Il n’y avait pas de « capitalistes ukrainiens » ou de « propriétaires fonciers ukrainiens », car l’ukrainisme lui-même était considéré comme une identité anticapitaliste et anti-propriétaire terrienne. Dans un certain sens, le fait d’être Ukrainien représentait non seulement une identité nationale mais aussi sociale. C’était l’un des facteurs les plus importants de l’énorme popularité des partis socialistes. Ce n’étaient pas seulement des partis qui luttaient constamment pour les droits nationaux, mais aussi ceux qui représentaient les aspirations sociales des Ukrainiens. L’histoire de l’Ukraine dans son ensemble est une histoire entrelacée de résistance sociale et nationale.

En 1917, l’Ukraine était une région de première ligne qui souffrait beaucoup de la guerre. Elle était divisée et confrontée à la désintégration de l’armée russe, aux migrations internes, aux épidémies, à la menace de famine et aux désordres. Elle fut la région la plus touchée par la Première Guerre mondiale. La révolution ukrainienne s’est déroulée dans ces conditions.

En février 1917 (calendrier julien), la révolution éclata sur le territoire de l’Empire russe et les Ukrainiens furent parmi les premiers à soutenir le changement révolutionnaire – aussi bien les soldats ukrainiens à Petrograd que les Ukrainiens en Russie et en Ukraine. Vingt mille Ukrainiens sont alors descendus dans les rues de Petrograd pour manifester à la mémoire de Taras Chevtchenko. D’innombrables manifestations ont eu lieu dans toutes les grandes villes d’Ukraine. Les manifestations à l’occasion de l’anniversaire de la mort ou de l’anniversaire du poète (les 9 et 10 mars selon le calendrier grégorien) étaient une longue tradition et étaient des dates centrales des protestations ukrainiennes à la fin du 19e et au début du 20e siècle. En 1914, le chef de la gendarmerie provinciale de Kyiv, le colonel Schredel, rapporta à ses supérieurs à Saint-Pétersbourg : « Les dirigeants du mouvement ukrainien se sont unis à d’autres organisations antigouvernementales et ont commencé à élaborer un plan pour organiser des manifestations de rue le 25 février et le 26, dirigeant tous leurs efforts pour attirer les étudiants de Kyiv à ces manifestations [...] Pour organiser de telles choses, un comité temporaire spécial a été formé parmi les étudiants, qui comprend également des représentants des communautés étrangères (Polonais, Géorgiens, Arméniens, etc.. ) et commence à préparer des proclamations. »

L’ambiance révolutionnaire a conduit les représentants politiques ukrainiens, les dirigeants communautaires, les révolutionnaires clandestins et les organisations culturelles à former la Rada centrale ukrainienne. La Société des progressistes ukrainiens, une organisation non partisane qui existait avant 1917, décida après de longues discussions d’organiser un corps révolutionnaire afin de coordonner les forces ukrainiennes et de mettre en pratique le droit à l’autodétermination. Cette société était dominée par des politiciens à l’esprit libéral et il y avait en son sein peu de socialistes marxistes ou non marxistes. La majorité libérale adopta une position autonomiste modérée : le nouveau corps révolutionnaire ukrainien ne devait servir qu’à développer une autonomie culturelle et non politique, et il devrait être organisé uniquement par les membres du corps. Cependant, il a été immédiatement dépassé par les socialistes, qui ont plaidé en faveur d’un organe politique participatif qui représenterait tous les Ukrainiens : la Rada centrale. L’initiative a été prise par la gauche et a acquis un caractère populaire et inclusif.

Qui a formé le gouvernement provisoire ukrainien – la Rada centrale ?

La Rada centrale ukrainienne a été fondée en mars 1917. Cependant, la Rada centrale n’était pas un parlement élu, car il n’y avait aucun moyen d’organiser des élections en pleine révolution. Il s’agissait d’une assemblée nationale composée de délégués des principaux partis et organisations ukrainiennes. La plus importante de ces organisations représentées à la Rada centrale était les Conseils de paysans, d’ouvriers et de soldats (qui fonctionnaient comme une sorte de gouvernement soviétique) ; les autres groupes comprenaient les plus grands partis socialistes, les organisations des minorités nationales, des groupes professionnels tels que les syndicats, les organisations étudiantes, etc., les organisations municipales, culturelles, sportives et féminines, ainsi que les délégués de l’administration locale. Plus de la moitié des délégués étaient des représentants des organisations communales. Des manifestations massives et d’autres manifestations de soutien à la Rada centrale de la part de ces organisations ont eu lieu au cours des mois suivants. En raison de sa composition – la formation et les réunions des différents congrès du conseil et des organisations minoritaires ont pris du temps – le nombre de délégués à la Rada centrale a été multiplié par dix à partir de la première réunion. En ce sens, la Rada centrale ukrainienne n’était pas un parlement, mais une institution de démocratie participative et révolutionnaire. Ses principaux objectifs étaient la lutte pour l’autonomie ukrainienne (qui affectait également le centralisme et l’impérialisme du gouvernement provisoire « grand russe » de Petrograd), l’organisation des Ukrainiens, la préparation de l’Assemblée constituante ukrainienne et la mise en œuvre de la réforme agraire. Plus tard, la Rada centrale devait être remplacée par un parlement élu. La Rada centrale est ainsi devenue un gouvernement ukrainien provisoire.

Afin de devenir fonctionnelle, la Rada centrale a formé un comité appelé Mala Rada (Petit Conseil). En termes de composition, il représentait grossièrement la Rada centrale et préparait les lois entre les sessions qui étaient ensuite votées et discutées au sein de la Rada centrale. Sur les 58 membres de la Mala Rada, 18 étaient des représentants de minorités. Au-dessus de la Mala Rada se trouvait un Secrétariat général, qui fonctionnait comme un organe collégial doté du pouvoir exécutif le plus élevé. Avec la Quatrième Universelle de janvier 1918 – un acte législatif de la Rada centrale – il fut élargi pour inclure les ministères des Affaires juives, russes et polonaises.

Les partis de la Rada centrale

Les socialistes-révolutionnaires

Si les gens travaillent en communauté avec les outils de production, alors ils doivent recevoir l’intégralité du produit de leur travail en tant que communauté. Ce qu’ils utilisent de ce produit pour les affaires publiques dépend d’eux. Il ne faut pas que si un propriétaire ou un groupe de propriétaires ne travaille pas, la majeure partie du produit qu’ils ne produisent pas soit détournée. Tant dans l’économie de travail paysanne que dans l’industrie, il faut faire en sorte que le maître et l’ouvrier soient une seule personne, afin que les ouvriers soient les maîtres du collectif. L’élimination de cette contradiction [du capitalisme] signifiera la disparition de la classe industrielle : les organisateurs de l’industrie, les propriétaires et les ouvriers seront les mêmes qui dirigeront l’entreprise, organisée en démocratie. La démocratie ouvrière dans l’industrie est une nouveauté. Ensuite, l’échange de produits (« commerce ») doit être organisé grâce à la coopération des consommateurs. Dans sa première forme, l’œuvre elle-même ne sera rien d’autre qu’une coopération de production. Les affaires culturelles (écoles, maisons d’édition, journaux, magazines, instituts de recherche, entreprises artistiques, etc.) doivent également être organisées en coopération. La gestion de l’économie et le travail culturel doivent être organisés par les communautés villageoises et urbaines et leurs associations ou centres sur une base démocratique. En revanche, l’organisation politique de la société (l’« État ») n’aura qu’à maintenir la paix extérieure et intérieure. Nous ne sommes pas d’accord avec l’opinion des bolcheviks, qui concentrent toutes les fonctions économiques et culturelles de la société entre les mains de « l’État ». L’État bolchevique est devenu un capitaliste propriétaire, obligeant la société entière à travailler pour lui par tous les moyens de violence. Le capitalisme d’État est la pire forme du capitalisme en général. La socialisation de la propriété foncière favorisera ceux qui souhaitent travailler à proximité de la terre, fusionner l’industrie et l’agriculture et éliminer le fossé entre la campagne et la ville en unissant l’agriculture à l’industrie. Cela entraînera également la disparition des différences culturelles entre le village et la ville. Nous appelons ce système de démocratie ouvrière socialiste ou, comme le disait Drahomaniv, Hromadivstvo (communalisme) .

Mykyta Schapowal , 1927

Le Parti ukrainien des socialistes-révolutionnaires (UPSR, Ukraїns’ka partija socialistiv-revoljucioneriv) était de loin le parti le plus important et le plus radical de la Rada centrale ukrainienne. Il a été fondé peu après la révolution et s’est développé rapidement, des villages entiers rejoignant immédiatement l’organisation. Le parti a adopté une position radicale sur la question foncière et sur la question de l’indépendance de l’Ukraine. L’UPSR était un parti paysan et sa plate-forme idéologique consistait en un socialisme radical non marxiste, pluraliste. Il rejetait la théorie marxiste de la classe ouvrière comme seule classe révolutionnaire et prônait le concept de « classes travailleuses » (paysans, agriculteurs, ouvriers et intelligentsia ouvrière), qui étaient toutes aussi importantes dans la construction du socialisme.

Le parti a alors connu un développement certain et une radicalisation. Alors qu’il prônait initialement la « socialisation des moyens de production » et la décentralisation radicale du gouvernement dans le cadre d’une démocratie parlementaire globale, il s’est ensuite appuyé sur le syndicalisme et la démocratie de conseil. À la fin de la révolution ukrainienne, le parti s’est divisé en l’aile radicale des Borotbyst, qui représentait des vues presque anarchistes, et le « courant principal », qui prônait l’idée d’un système de conseils (bien que pas au sens bolchevique du terme, où le conseil ou le système soviétique est contrôlé par un État à parti unique). Les socialistes-révolutionnaires étaient le parti le plus important à la Rada centrale. Cependant, il manquait d’expérience, ce qui signifie que la plupart du temps, le parti occupait la deuxième place derrière les sociaux-démocrates, beaucoup plus petits.

Le Parti ouvrier social-démocrate ukrainien (USDRP)

L’USDAP (Ukraїns’ka social-demokratyčna robitnyča partija&/USDRP) était un parti marxiste basé sur le programme d’Erfurt de 1891 du Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD) et fortement influencé par Kautsky, Bernstein et d’autres dirigeants de gauche du SPD. Dans la vie politique ukrainienne, les partis marxistes étaient qualifiés de sociaux-démocrates, tandis que les partis socialistes non marxistes étaient simplement qualifiés de socialistes. L’USDAP était un parti qui avait acquis une grande expérience avec la Révolution de 1905 et en a pleinement profité lors de la Révolution de 1917. Il était une forte force intellectuelle, quoiqu’assez dogmatique. L’USDAP a joué un rôle de premier plan dans la révolution.

Les socialistes-fédéralistes

Les membres modérés de la Société des progressistes ukrainiens se sont organisés en un parti socialiste-fédéraliste, socialiste de nom seulement, mais il était en réalité un parti social-libéral fondé sur les idéaux d’autonomie locale, de sécurité sociale et d’autonomie municipale. Le Parti socialiste-fédéraliste ukrainien était également le plus modéré en termes de revendications nationales et menait une politique d’apaisement à l’égard du gouvernement provisoire russe. Il s’agissait d’une force marginale, mais le parti était néanmoins composé de personnalités très talentueuses, comme le futur chef du ministère des Affaires étrangères de la République populaire d’Ukraine, Oleksander Shulgin.

Congrès et mouvements

Le Congrès des nations asservies

Le Congrès des nations asservies de Russie s’est réuni à Kyiv du 8 au 15 septembre 1917 à l’initiative de la Rada centrale. 92 délégués ukrainiens, géorgiens, polonais, lettons, lituaniens, estoniens, Juifs, biélorusses, moldaves, cosaques , bouriates, tatars, tatars de Crimée, d’organisations turques et musulmanes et du Conseil des partis socialistes russes étaient présents. D’autres nations qui n’ont pas pu participer ont envoyé leurs salutations et soutenu l’initiative. L’objectif du congrès était d’établir une coopération entre les peuples asservis de l’Empire russe et de créer une nouvelle réalité républicaine et décentralisée. Mykhailo Hrushevskyj a été élu président du congrès. Le congrès a trouvé peu de soutien parmi les partis centralistes panrusses tels que les démocrates constitutionnels russes, les mencheviks et les bolcheviks. En accord avec leurs théories et leur nationalisme russe, tous visaient plutôt un État unitaire ou une pseudo-fédération.

Le congrès était un événement majeur et symbolique qui a non seulement confirmé la coopération entre les nations non russes, mais a également motivé diverses nationalités à lutter pour leur autonomie. L’Ukraine a donné le « bon exemple » et a ainsi causé des problèmes au gouvernement provisoire. Le gouvernement provisoire russe avait un caractère impérialiste et rejetait l’autonomie ukrainienne. L’attitude de l’intelligentsia russe était encore pire. Le gouvernement provisoire considérait la limitation du mouvement ukrainien comme un moyen d’arrêter d’autres mouvements nationaux qui menaçaient la Russie centralisée, « une et indivisible ».

Le Congrès des coopératives

Le mouvement coopératif ukrainien a joué un rôle crucial dans la révolution ukrainienne. Il cherchait non seulement le bien-être économique de ses communautés, mais aussi à ouvrir des écoles et des musées, à organiser des activités culturelles et même à financer des bourses. Il s’agissait d’un vaste mouvement bien organisé et fondé sur des principes. Avec la révolution, le mouvement coopératif s’est développé. Il a formé des comités et élaboré des règlements avec lesquels il a garanti les principes démocratiques et les droits de participation. Il s’est opposé aux soi-disant pseudo-coopératives, a défendu les droits des travailleurs dans les coopératives et a prôné une économie de marché harmonieuse et non spéculative. Le mouvement coopératif était basé sur les principes de libération nationale (ils étaient considérés comme un outil de lutte pour l’autodétermination), d’« autodéfense » contre l’exploitation et les situations économiques imprévues. Il prônait la démocratie, était engagé envers la communauté et se souciait du développement moral des travailleurs. Les coopératives voulaient donner à leurs membres les moyens de façonner activement la société en tant que citoyens. Le travail ne devait plus être une activité aliénée. Le Congrès des coopératives s’est réuni du 27 au 29 mars 1917 et a élu le chef de la Rada centrale, Mykhailo Hrushevsky, comme président d’honneur du congrès. L’économiste proto-keynésien et théoricien du socialisme coopératif Mikhaïl Tuhan-Baranovskyj a été élu président du congrès et le membre du comité central des socialistes-révolutionnaires P. Khrystyuk a été élu secrétaire. Le congrès s’est terminé par une déclaration de soutien total à la Rada centrale et appela à la création d’une autonomie ukrainienne, à un plus grand rôle du mouvement coopératif, à l’introduction de la langue ukrainienne dans tous les domaines de la vie et à une réforme de la police.

Le mouvement coopératif a réuni des millions de personnes et a constitué la base économique du peuple ukrainien .

Le congrès des soviets et l’agression bolchevique

Le congrès des soviets a été convoqué par les bolcheviks et constituait clairement une tentative de renverser le gouvernement ukrainien. Même si les bolcheviks n’étaient que faiblement représentés – environ 60 des plus de 2 000 délégués étaient des bolcheviks – ils ont essayé de faire passer leur programme : le renversement de la Rada centrale. Le premier point fut l’élection du Présidium, mais elle se solda par une nette défaite des bolcheviks : neuf membres du Présidium furent des socialistes-révolutionnaires ukrainiens et trois des sociaux-démocrates ukrainiens, tandis que les mencheviks panrusses, les représentants du front sud-ouest, des pays baltes et de la mer Noire n’ont jamais pu obtenir un seul membre. Sept autres membres venaient d’autres factions russes et quatre seulement étaient bolcheviques. Hrushevsky, le chef de la Rada centrale, a été élu président honoraire du congrès . Même si le congrès des soviets soutenait généralement la propagande bolchevique et considérait le parti bolchevique comme une force révolutionnaire progressiste, celui-ci restait en minorité absolue. La date du congrès n’aurait pas pu être pire pour les bolcheviks ukrainiens. La veille, le gouvernement soviétique russe avait lancé un ultimatum à la République populaire ukrainienne et l’avait menacé de guerre ; un fait qui n’était même pas connu des bolcheviks ukrainiens . Les délégués ouvriers, dont beaucoup étaient des citoyens russes, ainsi que d’autres représentants soviétiques condamnèrent l’ultimatum. Il a été souligné que l’ultimatum bolchevique poursuivait la politique centraliste et chauvine du tsarisme et du précédent gouvernement Kerensky d’une « Russie une et indivisible ». La Rada centrale ukrainienne reçut un soutien massif et consolida son autorité auprès des Soviétiques. La faction bolchevique quitta alors le Congrès et s’installa à Kharkiv pour organiser un contre-gouvernement . Selon les bolcheviks, 124 délégués ont voté en faveur d’un retrait du congrès. Mais ce chiffre est controversé.

Pendant un temps, les socialistes ukrainiens ont collaboré avec les bolcheviques sur la base d’une idéologie apparemment similaire, puisque le caractère autoritaire et impérialiste du bolchevisme n’était pas encore clair. Un facteur important était la haine générale envers le gouvernement provisoire, qui préparait une offensive militaire contre la Rada centrale. Pour se protéger d’une contre-révolution, la Rada centrale a empêché les troupes de Kerensky de se déplacer vers Petrograd.

Cependant, cette coopération fut de courte durée, car les bolcheviques eux-mêmes tentèrent d’organiser un coup d’État contre la Rada centrale. Cependant, les autorités ukrainiennes ont découvert la préparation du coup d’État et ont désarmé environ 7 000 soldats bolcheviques à Kyiv. Un autre bataillon bolchevique devait arriver à Kyiv par chemin de fer, mais il fut intercepté et également désarmé. Le 27 novembre 1917, le gouvernement soviétique commença à stationner ses forces armées dans la région frontalière. Le 30 novembre, les troupes bolcheviques à Odessa ont tenté de renverser le gouvernement ukrainien, ce qui s’est soldé par une victoire ukrainienne et un cessez-le-feu après deux jours d’escarmouches.

Le 4 décembre (jour du congrès des soviets), le Conseil des commissaires du peuple (gouvernement soviétique) a adressé un ultimatum à la Rada centrale. Les bolcheviks ont exigé de l’Ukraine des mesures qui limitaient de fait la souveraineté de la République populaire, notamment le maintien d’un front commun avec la Russie et le réarmement de la Garde rouge en Ukraine. Les actions menées avant et après l’ultimatum, le centralisme dominant du parti et l’opinion largement répandue au sein du parti bolchevique selon laquelle l’Ukraine était une partie inséparable de la Russie, ainsi que les invasions ultérieures de la République populaire de Crimée, de la Lettonie, de l’Estonie, de la Lituanie, de la Pologne, la Géorgie et d’autres pays prouvent que des motivations impérialistes ont été à l’origine de l’invasion de l’Ukraine. L’attitude générale des bolcheviks montre que leur volonté d’une occupation impérialiste était au premier plan. Si ces revendications avaient été satisfaites, elles auraient probablement servi à renverser la Rada centrale « bourgeoise ». La guerre, déclenchée par le gouvernement soviétique à l’initiative de Lénine et de Trotsky, a apporté en Ukraine chaos et destruction, répression et réquisitions.

La République ukrainienne était menacée par les troupes blanches et rouges de Russie, mais aussi par la Pologne et la Roumanie, l’invasion et le coup d’État allemands, l’intervention française et les sanctions économiques de l’Entente. L’Ukraine s’est retrouvée dans un environnement international extrêmement hostile à son autodétermination. Il lui manquait également des structures étatiques organisées, des munitions, une production militaro-industrielle et des officiers disponibles. Telles étaient les conditions extrêmement défavorables de la République populaire ukrainienne.