Lettre ukrainienne de solidarité avec le peuple palestinien

« Notre solidarité vient d’un sentiment de colère face à l’injustice, et d’une profonde douleur de connaître les effets dévastateurs de l’occupation, du bombardement des infrastructures civiles et du blocus humanitaire ». Un collectif de chercheurs et chercheuses, artistes, militant·es politiques et syndicaux ukrainien·nes, apporte son soutien au peuple de Palestine. « Nous rejetons les déclarations du gouvernement ukrainien qui expriment un soutien inconditionnel aux actions militaires d’Israël ».

Nous, chercheurs et chercheuses, artistes, militant·es politiques et syndicaux ukrainien·nes, membres de la société civile, sommes solidaires du peuple de Palestine qui, depuis 75 ans, subit et résiste à l’occupation militaire israélienne, à la séparation, à la violence coloniale, au nettoyage ethnique, à la dépossession des terres et à l’apartheid. Nous écrivons cette lettre de peuple à peuple. Le discours dominant au niveau gouvernemental et même parmi les groupes de solidarité qui soutiennent les luttes des Ukrainien·nes et des Palestinien·nes crée souvent des séparations. Par cette lettre, nous rejetons ces divisions et affirmons notre solidarité avec toutes celles et tous ceux qui sont opprimé·es et qui luttent pour la liberté.

En tant que militant·es attachés à la liberté, aux droits des êtres humains, à la démocratie et à la justice sociale, et tout en reconnaissant pleinement les différences de pouvoir, nous condamnons fermement les attaques contre les populations civiles – qu’il s’agisse d’Israéliens·ne attaqué·es par le Hamas ou de Palestinien·nes attaqué·es par les forces d’occupation israéliennes et les gangs de colons armés. Le ciblage délibéré de civil·es est un crime de guerre. Cependant, cela ne justifie pas la punition collective du peuple palestinien, l’identification de tous les résident·es de Gaza au Hamas et l’utilisation aveugle du terme « terrorisme » appliqué à l’ensemble de la résistance palestinienne. Cela ne justifie pas non plus la poursuite de l’occupation. Faisant écho à de multiples résolutions des Nations unies, nous savons qu’il n’y aura pas de paix durable sans justice pour le peuple palestinien.

Le 7 octobre, nous avons été témoins de la violence du Hamas contre les civil·es en Israël, un événement qui est aujourd’hui pointé du doigt par beaucoup pour diaboliser et déshumaniser la résistance palestinienne dans son ensemble. Le Hamas, organisation islamiste réactionnaire, doit être replacé dans un contexte historique plus large et dans les décennies d’empiètement d’Israël sur les terres palestiniennes, bien avant que cette organisation ne voie le jour à la fin des années 1980. Lors de la Nakba (« catastrophe ») de 1948, plus de 700 000 Palestiniens·ne ont été brutalement chassé·es de chez elles et de chez eux, des villages entiers ont été massacrés et détruits. Depuis sa création, Israël n’a jamais cessé de poursuivre son expansion coloniale. Les Palestinien·nes ont été contraint·es à l’exil, fragmenté·es et administré·es sous différents régimes. Certain·es d’entre elleux sont des citoyen·nes israélien·nes victimes de discriminations structurelles et de racisme. Celles et ceux qui vivent en Cisjordanie occupée sont soumis à l’apartheid sous des décennies de contrôle militaire israélien. Les habitant·es de la bande de Gaza souffrent du blocus imposé par Israël depuis 2006, qui restreint la circulation des personnes et des biens, entraînant une augmentation de la pauvreté et des privations.

Depuis le 7 octobre et à l’heure où nous écrivons ces lignes, le nombre de morts dans la bande de Gaza s’élève à plus de 8 500 personnes. Les femmes et les enfants représentent plus de 62% des victimes, tandis que plus de 21 048 personnes ont été blessées. Ces derniers jours, Israël a bombardé des écoles, des zones résidentielles, l’église orthodoxe grecque et plusieurs hôpitaux. Israël a également coupé l’approvisionnement en eau, en électricité et en carburant dans la bande de Gaza. Il y a une grave pénurie de nourriture et de médicaments, ce qui provoque l’effondrement total du système de santé.

La plupart des médias occidentaux et israéliens justifient ces mort·es comme de simples dommages collatéraux de la lutte contre le Hamas, mais restent silencieux lorsqu’il s’agit des civil·es· palestinien·nes pris·es pour cible et tué·es en Cisjordanie occupée. Rien que depuis le début de l’année 2023, et avant le 7 octobre, le nombre de morts du côté palestinien s’élevait déjà à 227. Depuis le 7 octobre, 121 civil·es palestinien·nes ont été tué·es en Cisjordanie occupée. Plus de 10 000 prisonnier·es politiques palestinien·nes sont actuellement détenu·es dans les prisons israéliennes. Une paix et une justice durables ne sont possibles qu’avec la fin de l’occupation en cours. Les Palestinien·nes ont le droit à l’autodétermination et à la résistance contre l’occupation israélienne, tout comme les Ukrainien·nes ont le droit de résister à l’invasion russe.

Notre solidarité vient d’un sentiment de colère face à l’injustice et d’une profonde douleur de connaître les effets dévastateurs de l’occupation, du bombardement des infrastructures civiles et du blocus humanitaire dont nous avons fait l’expérience dans notre pays. Certaines parties de l’Ukraine sont occupées depuis 2014, et la communauté internationale n’a pas réussi à mettre fin à l’agression russe, ignorant la nature impériale et coloniale de la violence armée, qui s’est donc intensifiée le 24 février 2022. Les civil·es en Ukraine sont bombardé·es quotidiennement, dans leurs maisons, dans les hôpitaux, aux arrêts de bus, dans les files d’attente pour le pain. En raison de l’occupation russe, des milliers de personnes en Ukraine vivent sans accès à l’eau, à l’électricité ou au chauffage, et ce sont les groupes les plus vulnérables qui sont les plus touchés par la destruction des infrastructures essentielles. Pendant les mois de siège et de bombardement intensif de Marioupol, il n’y a pas eu de corridor humanitaire. En voyant les Israélien·nes prendre pour cible les infrastructures civiles à Gaza, le blocus humanitaire israélien et l’occupation du territoire résonnent douloureusement en nous. Depuis ce lieu de douleur, d’expérience et de solidarité, nous appelons nos compatriotes ukrainien·nes dans le monde entier et tous les peuples à élever la voix pour soutenir le peuple palestinien et condamner le nettoyage ethnique de masse israélien en cours.

Nous rejetons les déclarations du gouvernement ukrainien qui expriment un soutien inconditionnel aux actions militaires d’Israël, et nous considérons que les appels à éviter les pertes civiles lancés par le ministère ukrainien des Affaires étrangères sont tardifs et insuffisants. Cette position constitue un recul par rapport au soutien des droits des Palestinien·nes et à la condamnation de l’occupation israélienne, que l’Ukraine a suivis pendant des décennies, y compris en votant à l’ONU. Conscients du raisonnement géopolitique pragmatique qui sous-tend la décision de l’Ukraine de se faire l’écho des alliés occidentaux, dont nous dépendons pour notre survie, nous considérons que le soutien actuel à Israël et le rejet du droit des Palestinien·nes à l’autodétermination sont en contradiction avec le propre engagement de l’Ukraine en faveur des droits des êtres humains et de la lutte pour notre terre et notre liberté. En tant qu’Ukrainien·nes, nous devrions être solidaires non pas des oppresseurs, mais de celles et ceux qui subissent l’oppression et y résistent.

Nous nous opposons fermement à l’assimilation par certains hommes politiques de l’aide militaire occidentale à l’Ukraine et à Israël. L’Ukraine n’occupe pas les territoires d’autres peuples, mais se bat contre l’occupation russe, et l’aide internationale sert donc une cause juste et la protection du droit international. Israël a occupé et annexé des territoires palestiniens et syriens, et l’aide occidentale qui lui est apportée confirme un ordre injuste et démontre qu’il y a deux poids, deux mesures en ce qui concerne le droit international.

Nous nous opposons à la nouvelle vague d’islamophobie, comme le meurtre brutal d’un enfant palestinien américain de 6 ans et l’agression de sa famille dans l’Illinois, aux États-Unis, ainsi qu’à l’assimilation de toute critique d’Israël à de l’antisémitisme. Dans le même temps, nous nous opposons à ce que toustes les Juifs/Juives du monde entier soient tenu·es pour responsables de la politique de l’État d’Israël et nous condamnons la violence antisémite, telle que l’attaque de la foule contre l’avion au Daghestan, en Russie. Nous rejetons également la reprise de la rhétorique de la « guerre contre le terrorisme » utilisée par les États-Unis et l’Union européenne pour justifier les crimes de guerre et les violations du droit international qui ont sapé le système de sécurité international, causé d’innombrables mort·es et été empruntés par d’autres États, notamment la Russie pour la guerre en Tchétchénie et la Chine pour le génocide des Ouïghours. Aujourd’hui, Israël l’utilise pour procéder à un nettoyage ethnique.

Appel à l’action

Nous demandons instamment la mise en œuvre de l’appel au cessez-le-feu lancé par la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies.

Nous demandons au gouvernement israélien de cesser immédiatement les attaques contre les civil·es et de fournir une aide humanitaire ; nous insistons sur la levée immédiate et indéfinie du siège de Gaza et sur une opération de secours urgente pour restaurer les infrastructures civiles. Nous demandons également au gouvernement israélien de mettre fin à l’occupation et de reconnaître le droit des personnes déplacées palestiniennes à retourner sur leurs terres.

Nous demandons au gouvernement ukrainien de condamner le recours à la terreur sanctionnée par l’État et le blocus humanitaire contre la population civile de Gaza et de réaffirmer le droit du peuple palestinien à l’autodétermination. Nous demandons également au gouvernement ukrainien de condamner les agressions délibérées contre les Palestinien·nes en Cisjordanie occupée.

Nous appelons les médias internationaux à cesser de monter les Palestinien·nes et les Ukrainien·nes les uns contre les autres, où les hiérarchies de souffrance perpétuent la rhétorique raciste et déshumanisent celles et ceux qui sont attaqué·es.

Nous avons vu le monde s’unir dans la solidarité pour le peuple ukrainien et nous appelons tout le monde à faire de même pour le peuple palestinien.

2 novembre 2023

Le texte en anglais et, ukrainien et les signatures sont disponibles ici.

Signataires :

  1. Volodymyr Artiukh, researcher
  2. Levon Azizian, human rights lawyer
  3. Diana Azzuz, artist, musician
  4. Taras Bilous, editor
  5. Oksana Briukhovetska, artist, researcher, University of Michigan
  6. Artem Chapeye, writer
  7. Valentyn Dolhochub, researcher, soldier
  8. John-Paul Himka, professor emeritus, University of Alberta
  9. Karina Al Khmuz, biomedical engineer programmer
  10. Yuliia Kishchuk, researcher
  11. Amina Ktefan, fashion influencer, digital creator
  12. Svitlana Matviyenko, media scholar, SFU; Associate Director of Digital Democracies Institute
  13. Maria Mayerchyk, scholar
  14. Vitalii Pavliuk, writer, translator
  15. Sashko Protyah, filmmaker, volunteer
  16. Oleksiy Radynski, filmmaker
  17. Mykola Ridnyi, artist and filmmaker
  18. Daria Saburova, researcher, activist
  19. Alexander Skyba, labour activist
  20. Darya Tsymbalyuk, researcher
  21. Nelia Vakhovska, translator
  22. Yuliya Yurchenko, researcher, translator, activist
  23. Iryna Zamuruieva, ecofeminist researcher, artist, climate & land policy project manager
  24. Alisha Andani, history of art student
  25. Daša Anosova, curator, researcher, UCL SSEES
  26. Lilya Badekha, activist, culturologist, social media manager of the Spilne journal
  27. Anastasia Bobrova, researcher
  28. Anastasiia Bobrovska, dj, activist, digital strategy consultant
  29. Mariana Bodnaruk, researcher
  30. Yuriy Boyko, researcher, scientific assistant
  31. Vladislava Chepurko
  32. Daria Demia, artist
  33. Olena Dmytryk, researcher
  34. Olha Dobrovolska, teacher, culture researcher
  35. Svitlana Dolbysheva, artist, filmmaker
  36. Hanna Dosenko, anthropologist
  37. Vitalii Dudin, activist of NGO ‘Sotsialnyi Rukh’
  38. Oksana Dutchak, sociologist
  39. Nastya Dzyuban, choreographer and performer
  40. Kateryna Farbar, journalist
  41. Taras Gembik, culture worker, co-organizer of SDK Slonecznik at Musuem of Modern Art in Warsaw
  42. Anna Greszta researcher, co-founder of Collect4Ukraine
  43. Nataliya Gumenyuk, journalist
  44. Olenka Gu, sociologist
  45. Tetiana Hanzha, documentary film director
  46. Andrii Hulianytskyi, researcher
  47. Serhii Ishchenko, journalist
  48. Hanna Karpishena
  49. Milena Khomchenko, curator and writer, chief editor of SONIAKH digest
  50. Daria Khrystych, researcher, activist
  51. Amira Khussein, fashion business manager
  52. Kyrylo Klymenko, historian
  53. Lyuba Knorozok, producer, documentary filmmaker
  54. Oleksandra Kokhan, researcher
  55. Vladyslav Kononok, project manager
  56. Mariia Kosenko, translator
  57. Olga Kostyrko, independent researcher, activist, editor
  58. Iaroslav Kovalchuk, PhD Candidate, historian
  59. Anna Kovtoniuk, software developer
  60. Dmytro Kozak, PhD candidate, anthropologist
  61. Ruslana Koziienko, PhD candidate, social anthropologist
  62. Yustyna Kravchuk, cultural worker, translator
  63. Yulia Krivich, artist, co-organizer of SDK Slonecznik at Museum of Modern Art in Warsaw, PhD fellow at Academy of Arts in Krakow, Poland
  64. Amir Ktefan, personal translator and voice over artist
  65. Olexii Kuchanskyi, researcher, film programmer
  66. Veronika Kulak, student of business economics
  67. Yuliia Kulish, researcher
  68. Kateryna Lysovenko, artist
  69. Kostiantyn Maleoniuk, activist
  70. Daryna Mamaisur, filmmaker, visual artist, researcher
  71. Daniil Marchenko, bike messenger, cook
  72. Anastasia Marusii, art historian
  73. Mykyta Mikhalkov, student, volunteer
  74. Andrii Myroshnychenko, cultural manager and translator
  75. Pavlo Molochko, signaller in the AFoU
  76. Andriy Movchan, publicist
  77. Serhii Movchan, left activist, volunteer
  78. Zarina Netovkina
  79. Zhanna Ohanesian, researcher, humanitarian worker
  80. Kateryna Olieshko, artist, activist, creative producer
  81. Olga Papash, researcher, producer, volunteer
  82. Anton Parambul, soldier
  83. Mariia Pastukh, activist, head of Ukraine solidarity collective “Vsesvit”
  84. Valerii Petrov, game maker
  85. Julie Poly, artist
  86. Mariia Ponomarova, film director, creative producer
  87. Zakhar Popovych, activist
  88. Nina Potarska, researcher
  89. Dariia Puhach, computer linguist
  90. Olha Pylypenko, art manager
  91. Anna Rebrii, journalist, PhD student, activist
  92. Maksym Romanenko, doctor
  93. Marta Romankiv, artist, researcher, PhD fellow at Academy of Fine Arts in Gdansk
  94. Betya Roytburd, artist, organizer, curator
  95. Kseniia Rybak, researcher
  96. Bohdana Rybenchuk
  97. Mariia Salan, artist
  98. Abdula Sarkhan, digital artist
  99. Yulia Serdyukova, film producer
  100. Mariia Shynkarenko, researcher
  101. Maria Sonevytsky, professor, researcher
  102. Veronika Stancheva, psychologist
  103. Vladyslav Starodubtsev, historian
  104. Oleksandr Svitych, researcher
  105. Olena Syrbu, researcher, cultural worker
  106. Nast’ey Teor, graphic artist and designer
  107. Natasha Tseliuba, feminist, activist, artist, curator
  108. Dr. Nataliya Tchermalykh, University of Geneva
  109. Marharyta Tokarieva researcher, filmmaker
  110. Leo Trotsenko, artist
  111. Viacheslav Tsyba, philosopher, translator, editor
  112. Elen Udud
  113. Tetiana Usova, translator, filmmaker
  114. Kateryna Volochniuk, researcher
  115. Valeriia Voronova fashion influencer, digital creator, interior designer
  116. Bogdana Yakovenko, photographer, activist, volunteer
  117. Mariana Yaremchyshyna, culture worker, activist
  118. Aisha Yusupova, psychologist, creator
  119. Fattukh Zhalal, student of international economic relations
  120. Roma Zimenko, humanitarian worker
  121. Yevheniia Stepko, editor
  122. Oksana Karpovych, filmmaker
  123. Rita Adel, research analyst
  124. Olena Martynchuk, cultural anthropologist
  125. Kris Maslyuk, student
  126. Oleksandra Hryhorenko, translator
  127. Arsenii Kniazkov, film researcher
  128. Olena Mykhaylova, researcher
  129. Islam Dabank, poet and company manager
  130. Diana Khalilova. An artist, a cultural manager
  131. Sylvestr Kozurak, artist
  132. Vitalii Zalozetskyi, philosopher
  133. Denys Gorbach, social researcher
  134. Mykhaylo Maliarenko, military
  135. Alexandra Paul Zotov, Museum
  136. Tasha Gnatenko
  137. Ira Tantsiura, activist, researcher
  138. Oleksandra Chernomashyntseva, volunteer, stage designer
  139. Ostap Bohoslavets, researcher
  140. Anton Karyuk, artist
  141. Tania Banakh, historian
  142. babych kateryna, activist
  143. Stepan Bilousov, student
  144. Iryna Tsiuk, proofreader
  145. Mila Teshaieva, photographer, film director,
  146. Oleksiy Godz, architect
  147. Mariia Goubernik, psychotherapist, activist
  148. xenia mil'ushkina, activist, online influencer
  149. Anna Zakharchenko, student
  150. Alyssa Naryzhny
  151. Marta Iwanek, photographer, filmmaker
  152. Anna Lykhohliad, researcher