Patrick Le Tréhondat, Pavlo Bryzhatyi
À partir de la prochaine année universitaire, les étudiants recevront une formation militaire obligatoire dans les universités ukrainiennes. Le refus de suivre cette formation sera un motif d'expulsion des facultés. Les étudiantes pourront y participer sur une base volontaire. Une partie théorique sera enseignée, puis pendant les vacances d'été, les étudiants recevront une formation pratique.
Pavlo Bryzhatyi, étudiant en linguistique anglaise à l'Académie nationale de l'Université d'Ostroh (Ostroh, oblast de Rivne, Ukraine) et militant du syndicat étudiant indépendant Priama Diia, nous parle de la situation des étudiants face à la guerre.
Comment les étudiants ont-ils vécu plus de deux ans de guerre ? Quel est l'impact de cette
guerre sur leurs études et leur vie personnelle ?
Les étudiants étaient assez déjà prêts à poursuivre leurs études par d'autres moyens, en particulier l'étude en ligne qui a été introduite massivement pendant la pandémie de Covid de 2020-2021. Même moi, j'ai dû m'habituer aux cours via Google Meet et Zoom après quelques mois depuis le début de mes études en septembre 2021. Quant aux autres camarades, ils ont dû se déplacer en raison des bombardements constants des villes où ils étudiaient, comme Kharkiv, et des alertes quotidiennes aux raids aériens qui perturbaient le processus d'étude dans des villes comme à Kyiv. Des étudiants ont dû passer, en quelque sorte, en mode de survie en se concentrant uniquement sur leurs études, et en travaillant en dehors de leurs études pour conserver leur indépendance vis-à-vis de leurs parents ou en s'engageant comme volontaires dans l'armée.
Que pensent les étudiants des efforts de mobilisation du gouvernement ? Que penses-tu de ce sujet ?
Les étudiants ont des sentiments mitigés à l'égard des efforts de mobilisation, notamment en raison des méthodes inhumaines employées par les centres de recrutement locaux, comme dans les régions de Zakarpattia et d'Odessa, et des conflits qui ont permis la mobilisation dans l'armée de jeunes hommes de moins de 25 ans partiellement éligibles. D'autre part, de nombreux étudiants ressentent le poids de la responsabilité de soutenir l'effort de guerre en s'engageant dans l'armée, en organisant des dons pour les soldats ou en aidant, par exemple, à déblayer les décombres après les attaques russes, comme l'ont fait mes camarades de Priama Diia à Kyiv après que les Russes ont attaqué le campus principal de l'Institut des relations internationales de l'Université nationale et plusieurs dortoirs. Et je partage ces moments difficiles avec mes frères et sœurs. La mobilisation devrait être juste et prévisible car il n'y a pas actuellement de conditions claires de service obligatoire pour les personnes enrôlées.
Sais-tu si de nombreux étudiants ont rejoint l'armée ?
Pas vraiment. Il est assez difficile de combiner des études et un service actif dans l'armée, à moins d'étudier ou de postuler pour des cours par correspondance (des études purement en ligne). Toutefois, de nombreux étudiants s'inscrivent dans les départements militaires des universités ukrainiennes. Ces départements militaires sont des vestiges de l'Union soviétique et sont encore très actifs dans plusieurs universités ukrainiennes, où les étudiants peuvent s'inscrire indépendamment de leur université principale. Par exemple, mes camarades de l'académie d'Ostroh se sont inscrits au département militaire de l'université nationale d'ingénierie de l'eau et de l'environnement de Rivne afin de pouvoir se préparer à l'avance en recevant des spécialités militaires et, par conséquent, des grades d'officiers subalternes avec lesquels ils commenceront leur service dans l'armée. C'est quelque chose de beaucoup plus gérable que la formation militaire qui sera introduite pour la prochaine année d'études.
Le gouvernement souhaite introduire une formation militaire dans les universités en 2025. Que penses-tu de cette décision ?
À Priama Diia, nous avons commencé à analyser cette initiative de notre gouvernement. L’idée de cette réforme est d’obliger les étudiants (et de le permettre aux étudiantes) qui étudient en licence à suivre une formation militaire de base théorique et pratique. La loi ne contient que des éléments de base, par exemple les dates de la partie théorique qui aura lieu pendant le semestre d’études régulier, et la partie pratique qui aura lieu entre mai et septembre pendant les vacances d’été, sur lesquelles les universités se mettront d’accord. La loi précise également le nombre de crédits ECTS qui seront attribués à ces formations, les restrictions qui ne rendent pas les étudiants éligibles à la mobilisation avant l’âge de 25 ans après avoir terminé ladite formation et le processus de préparation du contenu pour la partie pratique et pour toute la formation en général, mais il n’existe aucun mécanisme pour vérifier sa mise en œuvre. Malgré ce brouillard dans la loi, je suis très attaché à sa mise en œuvre, car la résistance à l’impérialisme russe doit être bien réfléchie et non reportée à une réflexion ultérieure.
Selon toi, quel sera le rôle de Priama Diia lors de cette formation militaire ? Que doit-il faire en tant que syndicat ?
Priama Diia doit surveiller cette formation et démocratiser son contrôle, notamment en organisant des antennes locales [du syndicat] autour de cette question. En tant que syndicat, nous décortiquons activement tous les aspects de cette formation pour les analyser en détail, moi y compris, afin de nous assurer que les étudiants ont leur mot à dire sur la manière dont ils veulent être préparés à un éventuel service. Pour l'instant, il s'agit d'une question en sommeil, en partie à cause du manque de précisions pour sa mise en œuvre, mais nous sommes prêts pour le moment, lorsqu’elle deviendra la principale préoccupation pour les étudiants.
Quelle est la position de Priama Diia sur la guerre ? Êtes-vous impliqués dans le soutien aux soldats au front par exemple ou dans d'autres activités ?
Depuis sa renaissance au début de l'année 2023, Priama Diia résiste à l'invasion illégale de l'Ukraine par la Russie Certains de nos anciens membres servent dans l'armée et nous les aidons dans leurs campagnes de collecte de fonds qui sont organisées par Solidarity Collectives, un réseau de bénévoles anti-autoritaires qui aident les soldats partageant les mêmes idées et fournissent une aide humanitaire aux centres d’accueil pour les populations sur la ligne de front. Nous participons également aux collectes de fonds organisées par nos membres pour diverses unités moins connues qui ne bénéficient pas d’un éclairage national.
Notes:
«Crédits» acquis auprès d’un établissement d’enseignement supérieur pour l’obtention d’une qualification dans un autre établissement.