Le cas d’Oleg Orlov

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Oleg Orlov, après le verdict, emmené par les policiers, 27 février 2024.

Comme Boris Kargarlitsky, Oleg Orlov a été condamné en 2023. En octobre dernier, Olov, cofondateur du groupe de défense des droits de l’homme Memorial, aujourd’hui interdit [ont été visés Memorial International et ses «antennes régionales»], a été reconnu coupable d’avoir violé la loi russe contre le «discrédit des forces armées».

Orlov avait écrit un essai anti-guerre intitulé «Ils voulaient le fascisme, et c’est ce qu’ils ont obtenu». Cet essai a d’abord été publié en français par Mediapart en novembre 2022. Il l’a ensuite publié en Russie sur sa page Facebook. Il dénonce l’invasion de l’Ukraine par Poutine, qu’il qualifie de «meurtre de masse». Il écrit:

«La guerre sanglante déclenchée par le régime de Poutine en Ukraine n’est pas seulement le meurtre de masse des habitants et la destruction des infrastructures, de l’économie et de la culture de ce merveilleux pays. Il ne s’agit pas seulement de la destruction des fondements du droit international. C’est aussi un coup dur pour l’avenir de la Russie. Le pays, qui s’est éloigné il y a trente ans du totalitarisme communiste, est retombé dans le totalitarisme, mais désormais fasciste.»

La condamnation d’Orlov s’est traduite par une amende de 150 000 roubles (environ 1630 dollars). Il a clamé son innocence et a refusé d’exprimer des regrets au sujet de son essai. Deux semaines plus tard, les procureurs de l’Etat ont requis un nouveau procès, affirmant que le motif de «haine politique et idéologique» sur lequel reposait l’article n’avait pas été pris en compte. Il a été déclaré «agent étranger» à la fin du mois de janvier 2024.

Depuis 1988, Orlov est actif dans la défense des prisonniers politiques et en tant qu’observateur dans les zones de conflit. Au milieu de l’année 1995, il a fait partie d’une délégation qui a résolu une prise d’otages à Boudionnovsk. Avec d’autres, il est devenu un otage volontaire afin de garantir un échange de prisonniers avec les séparatistes tchétchènes [alors dirigés par Chamil Bassaïev]. Grâce à ce compromis, la Russie accepte d’arrêter les actions militaires en Tchétchénie et d’entamer des négociations. Toutefois, ce tournant de la première guerre de Tchétchénie s’est soldé par une impasse, les pourparlers de paix ayant été rompus. Poutine a ensuite déclenché une deuxième guerre de Tchétchénie.

Memorial a été fondé à la chute de l’Union soviétique pour étudier les violations des droits de l’homme commises à l’époque de Staline. Sa mission a été élargie par la suite non seulement à l’étude de l’ensemble de la période soviétique, mais aussi à la protection des droits de l’homme dans la Russie d’aujourd’hui. Le centre a fait l’objet d’un contrôle plus approfondi après l’adoption de la loi russe sur les «agents étrangers» en 2012. Deux ans plus tard, son centre a été déclaré en tant qu’ONG «agent étranger» par le ministère de la Justice. En décembre 2021, le tribunal de la ville de Moscou a ordonné la fermeture du centre et la liquidation de ses biens. Les procureurs de l’Etat l’avaient accusé de soutenir le terrorisme et l’extrémisme.

Entre 2004 et 2022, le Memorial Human Rights Centre a reçu de nombreuses récompenses en matière de droits de l’homme. Avec des organisations de Biélorussie et d’Ukraine, Memorial a reçu le prix Nobel de la paix en 2022.

Le deuxième procès

Tout au long du nouveau procès de février 2024, Oleg Orlov a passé son temps assis dans la salle d’audience à lire Le Procès de Franz Kafka. Il a refusé de répondre aux questions tout au long des quatre jours. Son avocate, Katerina Tertukhina, a contesté le principe d’un nouveau procès, notant que les procureurs refusaient de préciser en quoi l’essai – cité ci-dessus – discréditait l’armée russe.

Deux membres du mouvement pro-Kremlin «Vétérans de la Russie», Vadim Mironenko et Sergey Bokhonko, qui ont porté les premières accusations contre Orlov, ont témoigné lors du second procès. Mironenko a déclaré qu’il avait suivi les travaux de Memorial et qu’il les avait trouvés «criminels et destructeurs». Lorsque Orlov a refusé de l’interroger, Mironenko a répondu en accusant Orlov de se vanter de ses talents de négociateur lors de la crise de Boudionnovsk. Et il affirma qu’Orlov avait travaillé «pour épargner» des terroristes qui ont ensuite perpétré des attentats.

Mais le témoin clé de l’accusation, Maria Zueva, qui était censée procéder à l’examen linguistique actualisé de l’essai, s’est avérée être une stagiaire sans expérience préalable.

Le réquisitoire du procureur a maintenu qu’Orlov avait fait plus que partager ses opinions personnelles. L’avocate de la défense n’a fait qu’une bouchée de cet argument, soulignant que l’accusation portait sur la «formulation d’une opinion fausse» concernant l’armée russe. [En fait, la question de la liberté d’expression était posée.] L’avocate a affirmé: «Mais quelle est la menace que représente la formulation d’une fausse opinion? Et comment une opinion même peut-elle être fausse? Elle existe simplement ou elle n’existe pas.»

Oleg Orlov a fait une déclaration finale, alors qu’il pensait initialement y renoncer. Il a expliqué que la mort récente d’Alexeï Navalny l’avait incité à faire une déclaration finale: «Mais ensuite, j’ai pensé que tout cela n’était que les maillons d’une chaîne: la mort, ou plus précisément le meurtre d’Alexeï, les persécutions judiciaires d’autres critiques du régime (y compris les miennes), l’étouffement de la liberté dans ce pays et l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes. C’est pour cela que j’ai décidé de parler, après tout.»

Orlov a fait remarquer que depuis la publication de son article sur Facebook, les événements n’ont fait que confirmer les questions qu’il avait soulevées dans son essai: «Il est maintenant parfaitement clair que je n’ai pas du tout exagéré.»

La juge Elena Astakhova a ensuite condamné Orlov à deux ans et demi de prison pour avoir «discrédité» l’armée russe. Il a été immédiatement emmené par des policiers masqués, tandis que les supporters présents dans le couloir criaient «Nous t’aimons!». (Article publié dans la revue Against the Current, mai-juin 2024; traduction rédaction A l’Encontre)

Dianne Feeley est membre de la rédaction d’Against the Current. Elle a été très active dans le mouvement syndical, en particulier dans le secteur de l’automobile, entre autres dans la section Local 22 d’UAW à Detroit.