En ce mois de mars 2024, les féministes internationalistes s’organisent et s’activent sur le terrain militaire.
C’est tout particulièrement le cas sur la question des armes et du soutien armé à l’Ukraine, cette « épine dans le pied de l’ensemble des organisations anticapitalistes, féministes et anti-impérialistes » pour reprendre la formule de Daria Saburova, une militante féministe ukrainienne francophone. Elles contribuent notamment à documenter cette réalité, apportent un soutien concret aux soldat.es et offrent ainsi, un « visage vivant de politique militaire féministe », pour reprendre la formule d’Aplutsoc.
Féministes dans l’armée
Au nombre des actions réalisées au mois de mars 2024, en français, on peut notamment renvoyer à un Webinaire organisé par le Réseau Européen de Solidarité avec l’Ukraine (ENSU/RESU) avec des militantes féministes ukrainiennes. Parmi les intervenantes, on insistera ici sur les interventions d’une soldate (1h02 et s. ; 1h37 et s. ; 2h28 et s.) qui, à la suite d’autres témoignages et documentaires, permettent d’illustrer concrètement cet engagement militaire féministe.
Cette soldate, âgée d’une vingtaine d’années, rappelle qu’elle est confrontée à la guerre depuis l’âge de 12 ans. Aujourd’hui, elle fait partie des 70 000 femmes engagées dans l’armée ukrainienne, au front comme à l’arrière, ce qui en fait une des armées les plus féminisées au monde. À titre d’exemple, dans les bataillons dans lesquels elle était engagée, les femmes représentaient plus de 10% des effectifs. Après avoir servi dans l’infanterie, elle a été nommée commandante d’un véhicule blindé, détruit depuis par l’armée Russe. Elle opère aujourd’hui dans une unité de reconnaissance et apprend le maniement des drones. Elle souhaite cependant réintégrer l’infanterie car, selon elle, c’est dans ces fonctions que l’on peut être le plus utile.
Elle insiste sur le fait c’est parce que les femmes se sont préalablement organisées, qu’elles avaient rejoint des bataillons d’auto-défense (voir notamment le Bataillon invisible)) qu’elles ont été finalement intégrées, par la suite, au sein d’une armée régulière qui leur fermait auparavant largement les portes. Elle souligne que ce sont les luttes menées par les femmes au sein de l’armée qui ont permis qu’aujourd’hui certaines d’entre elles occupent des postes jusque-là réservés aux hommes.
Reste que le combat contre le sexisme, la misogynie et le patriarcat est loin d’être gagné au sein d’une armée où les points de vue « très patriarcaux et rarement progressistes » prévalent ; c’est inquiétant quand on pense que « c’est l’armée d’aujourd’hui qui contribue à former la société ukrainienne de demain » insiste la soldate. Enfin, à la question « qu’attendez-vous de nous », la réponse est claire : des armes, des drones, des médicaments, une solidarité internationale active.
Féminisme et équipement militaire
La solidarité des féministes internationalistes ne se limite pas à documenter la situation militaire et l’engagement des femmes dans l’armée, elle est également très concrète, y compris sur le terrain des armes. À titre d’exemple, le RESU organise actuellement une collecte afin de répondre à la demande de l’Association des femmes vétéranes d’Ukraine. Celle-ci appelle à des dons pour acheter un véhicule blindé pour faciliter l’évacuation des blessées. Cette aide est particulièrement importante d’après un expert interrogé dans Médiapart car selon lui un ou une blessée si elle « n’est pas tué[e] sur le coup, a toutes les chances de survivre [si elle] se trouve dans un bloc opératoire moins heure et, mieux, vingt minutes après la blessure : de toute évidence, ce n’est pas le cas dans ce conflit ».
Enfin, parmi les récentes actions en français, on peut renvoyer à cette table ronde organisée par le Nouveau Partie Anticapitaliste (NPA), Femmes en guerre / Femmes en résistance, avec des militantes féministes Kurde, Palestinienne, Congolaise, Ukrainiennes. Si les priorités ne sont bien évidemment pas partout les mêmes, un point commun ressort de ces interventions : les femmes restent toujours, à de rares exceptions près (comme au Kurdistan semble-t-il), dépossédées des armes.
Féminismes internationalistes et pacifistes
Ces différentes activités s’inscrivent ainsi en plein dans la continuité des revendications du Manifeste féministe internationaliste des ukrainiennes qui réclament le « droit de résister », « le droit à l’autodéfense (y compris armée) » et qui appellent les féministes du monde entier à la solidarité pour lutter contre l’impérialisme, contre la division sexuelle du travail, pour la défense des droits reproductifs des femmes, le droit à la contraception, à l’avortement, la protection des droits des minorités notamment.
À noter cependant, que cette solidarité s’oppose à un autre féminisme, pacifiste, porté par les signataires du Manifeste Résistance féministe contre la guerre. Celles-ci s’opposent aux « décisions d’ajouter davantage d’armes au conflit », déclarent que « la guerre est irréconciliable avec les valeurs et les objectifs essentiels du mouvement féministe », affirment que les « armes perpétuent la guerre, perpétuent la barbarie et perpétuent la souffrance ». On soulignera qu’à notre connaissance, ce Manifeste n’a pas reçu le soutien d’aucune féministe ukrainienne.
Bref, on retrouve donc dans les organisations féministes les mêmes clivages que ceux qui divisent aujourd’hui plus largement la gauche concernant la définition même de l’internationalisme, de ce que l’on considère comme une lutte décoloniale et la question des livraisons d’armes à l’Ukraine.
Et sur ce débat, force est de constater qu’au Québec, jusqu’à présent, il n’existe pas de mouvement de solidarité avec les féministes ukrainiennes sur la question de la résistance armée. Peut-être que ce mouvement est en passe de s’organiser, mais pour le moment, il est à toutes fins pratiques invisible. La majeure partie des associations féministes Québécoises (FFQ, Coordination du Québec de la Marche mondiale des femmes etc.), les organismes de défense « des » droits (Ligue des droits et libertés ; AQOCI, CISO etc.) les syndicats (FTQ, CSN, CSQ etc.) ont choisi de se taire voire de combattre les revendications des féministes ukrainiennes en armes.