DÉBAT: Quelle sécurité collective européenne contre tous les menaces impérialistes ?
DÉBAT: Quelle sécurité collective européenne contre tous les menaces impérialistes ?

DÉBAT: Quelle sécurité collective européenne contre tous les menaces impérialistes ?

Date
June 9, 2025
Author

Bernard Dréano, Claude Serfati et Catherine Samary

IMPORTANT : L'ENSU invite à contribuer à ce débat critique, qui sera publié dans cette section de notre site web. Les contributions sont limitées à 1500 mots et doivent être envoyées à info@ukraine-solidarity.eu. Les contributions peuvent être rédigées en anglais, en ukrainien, en français ou en espagnol, et doivent inclure le nom et l'adresse électronique de l'auteur. Les contributions anonymes ne seront pas publiées. Toute question doit également être envoyée à info@ukraine-solidarity.eu.

Analyses de RearmEurope et de la Défense européenne otanienne

Présentations par Bernard Dréano, Claude Serfati et Catherine Samary

Source: Réunion ENSU-RESU du jeudi 22 mai 2025

Sommaire :

  1. Présentation de la réunion - Catherine Samary
  2. Analyse de RearmEurope - Claude Serfati
  3. Une « sécurité collective européenne ? ». Questions sur la « défense européenne » et l’OTAN - Bernard Dréano
  4. Conclusion ouverte - Catherine Samary

I. Présentation de la réunion – Catherine Samary

Nous sommes tous les trois membres du RESU, mais aussi de la Fondation Copernic dans laquelle notre réflexion s’inscrit : nous sommes en effet impliquéEs dans la préparation, avec d’autres camarades, d’une publication Copernic discutant de la « sécurité » européenne d’un point de vue altermondialiste. Nous souhaitons aujourd’hui présenter cette réflexion en cours dans le cadre du RESU en sachant qu’il n’y a aucun « consensus » RESU sur ces enjeux majeurs—caractérisation de l’Union Européenne (UE) et de l’Organisation du traité de l'atlantique nord (OTAN) et de leurs contradictions/crises notamment dans le contexte ouvert par l’invasion russe de l’Ukraine puis l’arrivée au pouvoir de Trump. Nous savons également qu'au-delà du RESU de profonds désaccords divisent les gauches altermondialistes qui ont un grand besoin et retard de débats sur les enjeux soulevés ici.

Il ne s’agit évidemment pas ici de nous ériger en porteurs de « vérité indiscutable », ni d’une vision uniforme partagée et finalisée. Ces présentations et ce débat sont pour nous une « étape » dans un « processus » d’analyses et discussions nécessaires avec légitimes désaccords ou questionnements, au-delà de ce qui est notre plateforme consensuelle (en défense du droit de résistance armée et non armée du peuple ukrainien face à l’agression impériale russe) - et de nos liens par en bas avec la gauche ukrainienne luttant sur plusieurs fronts.

La discussion sera introduite par deux présentations. Tout d’abord, celle de Claude Serfati analysant RearmEurope. Claude, membre du RESU, est un chercheur spécialiste de la « militarisation du monde » sur laquelle il a écrit de nombreux ouvrages et articles (notamment présentés ou publiés dans la revue Les Possibles du conseil scientifique d’Attac). Après lui Bernard Dréano questionnera les enjeux de « défense collective européenne » associés à l’OTAN. Bernard, également membre du RESU est, de longue date, animateur et président de plusieurs réseaux internationaux anti-colonialistes comme le Centre d'études et d'initiatives de solidarité internationale (CEDETIM).

NB1 : Une troisième intervention était prévue pour cette réunion, celle d’Adam Novak, impliqué lui aussi dans le RESU depuis sa création (notamment en lien avec l’Europe de l’Est) concernant la rencontre européenne Stop RearmEurope à laquelle il a assisté et dont il a publié un compte rendu dans l’Europe Solidaires Sans Frontières. Mais Adam s’est excusé de ne pouvoir venir le 22 mai.  Vu le manque global de temps, l’importance de la discussion critique envers les mobilisations pacifistes en cours, et l’absence d’Adam, ce point n’a pas été traité, le renvoyant à un débat ad hoc du RESU.

NB2 : La discussion a donc porté sur les deux introductions - sans avoir le temps pour permettre à Claude et à Bernard d’intervenir en conclusion et dialogue avec les questions soulevées. Les deux intervenants ont donc mis par écrit leurs présentations en y intégrant ici ce qu’ils auraient voulu exprimer en fin de réunion, en fonction de la discussion. C’est pourquoi il s’agit de présentations « actualisées ».

NB3 : la discussion avec le groupe de coordination RESU après la réunion a souligné que l’enregistrement automatique des présentations et du débat étant inexploitable, la mutualisation et poursuite des débats de cette réunion se ferait :

a) Par la présentation synthétique de la réunion par Bernard, Claude et Catherine, avec rédaction des introductions : d’où ce texte ;

b) Un résumé des interventions par le coordinateur intérimaire du RESU (Szymon Martys) et/ou pour ceux et celles qui le souhaitent, la rédaction de leurs interventions, avec publication sur ce site. Mais, comme cela fut dit dans la discussion, nous sommes touTEs d’accord que les priorités du RESU vont aux campagnes concrètes.

II.  Présentation actualisée de « Rearm Europe »

Par Claude Serfati (membre de l'RESU, auteur d’Un monde en guerres, Textuel, avril 2024)

La défense constitue le noyau fondateur des Etats, plus encore sur le continent fondateur des Etats-nations.

Comprendre vers où l’accélération du militarisme européen conduit nécessite un bref rappel de mon analyse de l’UE en tant qu’institution composite sui generis.

Elle est le produit de trois forces parfois convergentes, parfois conflictuelles :

  • la dynamique d’internationalisation des capitaux basés dans les pays de l’UE mais pour partie intégrée au sein de la zone transatlantique
  • le rôle central des grands Etats européens
  • la constitution d’une bureaucratie para-étatique (Commission européenne, Banque centrale européenne, Cour de justice de l’UE) qui comme toute bureaucratie a développé ses propres mécanismes d’auto-expansion fondé (pour la Commission) sur un triple rôle : nivellement du « terrain de jeu » entre les capitaux nationaux rivaux, défense des intérêts de l’UE contre les pays rivaux, et surtout, coordination des politiques anti-salariales.

A la lecture de ces forces complémentaires mais également rivales, il est aisé de comprendre que l’UE est « en crise » en permanence, mais les forces d’intégration en place depuis sept décennies maintiennent des intérêts communs, sans pour autant aller vers le fédéralisme. La défense commune n’est donc évidemment pas à l’ordre du jour.

Les objectifs du plan Rearmer l’Europe

La militarisation a commencé avant 2022

C’est une erreur de penser que la militarisation est seulement une réponse à l’agression impérialiste de la Russie. Entre 2014 et 2024, +79%  d’augmentation des dépenses militaires en euros constants (données de l’Agence européenne de défense, AED) . Les forces endogènes à l’UE qui poussent à sa militarisation sont puissantes.

Les effectifs de l’industrie aéronautique et de défense européenne (Grande-Bretagne incluse) sont passées de moins de 800.000 salariés en 2012 à plus d’un million en 2023. Son chiffre d’affaires est passé de 200 à 290 milliards d’euros au cours de la même période dont plus de la moitié est réalisé par la défense (source : EDA 2024).

De plus, plusieurs pays membres ont un poids important dans les dépenses militaires et les exportations mondiales d’armement.

Rearmer l’Europe : trois grands axes

Le plan Rearm Europe/Readiness for 2030 annoncé par la Commission en avril prévoit un financement des budgets de défense à hauteur de 800 milliards d’euros, soit environ 4% du PIB de l’UE) (PIB 2024 : $19,4 trillions). Il contient trois mesures principales :

a) Un nouvel instrument financier (Security Action for Europe—SAFE), inspiré de celui créé en 2020 pour faire face à l’arrivée du COVID-19. Il prévoit des prêts d’un montant total de 150 milliards d’euros soit 20% du total à des conditions préférentielles afin de permettre aux Etats de renforcer leurs capacités militaires et de collaborer dans les programmes d’armement dans les systèmes de défense antimissile, d’artillerie, de drones, etc. Les Etats-membres doivent s’engager à acheter des systèmes d’armes dont au moins 65% des composants viennent d’Europe, y compris d’Ukraine.

b) La Commission encourage les Etats-membres à augmenter les financements publics de la défense en levant la clause qui limite les déficits budgétaires à 3% (national escape clause). Cette estimation fondée sur l’hypothèse que les Etats augmenteront leurs dépenses militaires d’un montant équivalent à 1,5% de leur PIB (par exemple pour la France, passer de 2% à 3,5% de dépenses militaires/PIB)

c) La Commission recommande à la Banque européenne d’Investissement (BEI) d’assouplir considérablement les conditions de prêts aux entreprises d’armement, ce qui signifie en pratique de cesser de placer les armes dans la catégorie des produits nuisibles. Les banques pourront donc désormais prêter aux « marchands de canons » et invoquer en même temps le « développement soutenable ». La BEI a élargi son soutien financier aux biens de sécurité et à usage dual à hauteur de 8 milliards d’euros pour 2021-2027.

Résumé des critiques du Plan Rearmer l’Europe

  1. Forte augmentation des dépenses militaires
  2. Qui sera financée par les Etats-nations
  3. Elle limitera modérément la fragmentation nationale
  4. Elle enrichit déjà considérablement les grands groupes donneurs d’ordre et fait émerger des start-ups sur les armes fondées sur l’IA (Helsing, Mistral) avec un engouement du capital-risque (venture capital)
  5. Elle renforcera plutôt que diminuera la présence des groupes états-uniens de la défense

En résumé, la Commission n’oriente pas ses propositions dans la direction d’une aide massive à l’Ukraine.

Quelques-uns de ces points sont développés dans la suite de ce texte.

La fragmentation nationale persiste

Les rapports Draghi, Letta et Niinistö soulignent l’urgence d’une intégration industrielle des productions d’armes et d’autres rapports demandent d’aller plus avant dans la définition d’une politique communautaire de défense et de sécLes objectifs du plan Rearmer l’Europeurité. De nombreux rapports demandés par la Commission (et le Parlement) chiffrent en dizaines de milliards d’euros « le coût de la non-Europe de la défense », etc.

Or, rien de tout cela dans Rearm l‘Europe.

  1. Pas d’élaboration commune des besoins.
  2. Pas d’obligation de commandes inter-gouvernementales communes : « Ces crédits pourront soutenir des commandes (procurement) communes de produits de défense, y compris des capacités industrielles et la préparation d’infrastructures » (Commission, mes italiques). La Commission se contente dire : « pourront »….

La Commission rappelle que « les Etats-membres maintiendront toujours la responsabilité sur leur propres troupes, de la doctrine à leur déploiement, ainsi qu’en ce qui concerne la définition de leurs besoins en forces armées ». Ce constat, en phase d’ailleurs avec la part réduite du financement communautaire (150 milliards financés par la Commission sur 800 milliards d’euros) fixe le cap de la militarisation : il incombe aux Etats-membres de renforcer leur militarisation.

De même, ce nouvel instrument (SAFE) fournit des crédits aux Etats-membres afin de renforcer l’industrie de défense de l’Europe. Ces prêts n’ont pas pour objectif de mettre en œuvre une politique d’étrangère et de sécurité commune ».

Les stratégies nationales dominent et la polarisation autour des grands pays européens va augmenter

Chaque grand Etat-membre poursuit son propre agenda. Quelques exemples :

  • Allemagne : « Le gouvernement allemand fournira toutes les ressources nécessaires à la Bundeswehr afin qu’elle devienne l’armée conventionnelle la plus puissante d’Europe » (Friedrich Merz, 14 mai 2025).
  • Les ministres de la Défense de l’Allemagne et du Royaume-Uni signent le 23 Octobre 2024 le Trinity House Agreement.
  • La France et la Pologne signent un accord stratégique le 9 Mai 2025 dont les limites sont déjà soulignées par les commentateurs.

La démarche est donc de poursuivre une politique de défense « à la carte » comme le Traité européen l’a prévu avec les PESCO (coopération structurée permanente) « pour les pays qui veulent aller de l’avant » (the Coalition of the Willing)

La concurrence dans la production d’armes continue

Les programmes coopératifs européens ne représentent qu’une petite part de la production d’armes (source : AED). L’objectif est d’arriver à 40% en 2030 et elle est très très faible dans la Recherche & Technologie (6%).

Les programmes bilatéraux concurrentiels européens existent dans « l’avion du future » (France-Allemagne-Espagne vs Royaume-Uni-Italie-Japon) et des désaccords entre la France et l’Allemagne dans le partage industriel et les règles d’exportation.

Les dividendes de la guerre

Les résultats tangibles sont l’euphorie boursière. Au cours des cinq dernières années, l’indice boursier composé des 10 grandes entreprises de l’aéronautique et de la défense européennes (Airbus, trois britanniques, deux françaises, deux allemandes, une italienne et une suédoise) a augmenté de 281% contre « seulement » 66% pour l’ensemble des grands groupes cotés en Europe (source, Stoxx)

L’engouement est également très fort sur le marché du capital-risque qui finance les start-ups. Les start-ups de défense, en particulier allemandes, attirent les investisseurs financiers, qui sont principalement étatsuniens (63% des financements).

L’exigence du contrôle social des entreprises d’armement est une revendication qui peut être entendue : les armes ne sont pas une marchandise, les guerres ne doivent pas être un business.  »Je ne veux pas prendre le risque que l’argent des contribuables serve finalement à alimenter des subventions pour les profits des entreprises » a dit Tobias Cremer, membre allemand du Parlement européen avec les Socialistes et les Démocrates et dans le sous-comité sur la Défense et les Affaires étrangères du Parlement.

Il est temps de passer aux actes

‘Le facteur transatlantique’ et le rôle décisif du Royaume-Uni

La présidente de la Commission Ursula von der Leyen a déclaré :  « Le nouveau partenariat de défense passé avec la Grande-Bretagne dynamisera la coopération, il couvre les domaines de l’industrie, de la mobilité, du maintien de la paix, de la gestion des crises, ainsi que la défense contre les menaces hybrides […] et ceci n’est que le premier pas vers la participation du Royaume-Uni dans le programme d’investissement dans la défense. » L’industrie britannique pourrait donc être éligible aux projets communautaires.

La militarisation procède sous domination étatsunienne. C’est vrai sous l’angle de l’interopérabilité des systèmes d’armes (cf. texte de Bernard Dréano), c’est vrai sur le plan industriel. Une part dominante des importations d’armes vient des Etats-Unis.

Dans le contexte des tensions avec Trump, l’accord UE-Royaume-Uni (RU) prend toute son importance.

Le RU, par sa position historique, joue un rôle charnière dans le maintien de l’alliance transatlantique. Ceci va entrainer un déplacement du centre de gravité de la politique de défense de l’UE qui devra y associer le RU, et surtout l’annonce de nouvelles tensions entre Etats-membres, les plus pro-Etats-Unis’ cherchant à renforcer la place du RU dans Rearm Europe et les programmes coopératifs de défense (donc débats sur les critères d’éligibilité, le niveau du contenu européen—EU content—pour bénéficier des fonds européens, etc.)

Le plan RearmEurope n’est pas conçu pour aider l’Ukraine

Quelques arguments :

  1. Le refus de renforcement de la coopération industrielle pour produire à destination de l’Ukraine signifie que cette aide est une simple juxtaposition de productions nationales. Résultat : perte d’efficacité. Cf l’Act in Support of Ammunition Production (ASAP). Ainsi, l’objectif lancé en juin 2023 de livrer un million d’obus à l’Ukraine (en mars 2024 n’a été atteint qu’avec un retard significatif (en novembre 2024). Les réticences à renouveler ce programme semblent assez fortes.
  2. La France et l’Italie se sont opposées à la proposition de la Commissaire Kaja Kallas que le programme d’aide à l’Ukraine de 40 milliards d’euros – dont 5 milliards pour les munitions - soit pondéré en proportion du PIB des Etat-membres. En effet, aujourd’hui l’aide à l’Ukraine est inversement proportionnelle au montant du PIB (les grands pays aident proportionnellement moins que les « petits pays », Kiel Institute)
  3. Les pays privilégient la poursuite de leurs ventes d’armes (aux régimes du Moyen-Orient et de l’Inde pour la France, Israël pour l’Allemagne, etc.) . Les livraisons d’armes de la France à l’Ukraine représentent à peine 20% de ses exportations.
  4. Le Kiel Institute estime dans une étude consacrée aux conséquences de l’élection de D. Trump, que « l’Europe pourrait remplacer la plupart des équipements fournis par les Etats-Unis ». Cela signifierait pour l’Allemagne passer de 6 à au moins 9 milliards d’euros, le Royaume-Uni de 5 à 6,5 milliards d’euros, la France de 1,5 à 6 milliards d’euros, l’Italie de 0,8 à 4 milliards d’euros et l’Espagne (de 0,5 à 3 milliards d’euros. Ceci pourrait être réalisé par une réorientation de certaines dépenses militaires de ces pays afin de produire des armes dont l’Ukraine a besoin. Mais ceci, le Kiel Institute ne le dit pas.
  5. Cette aide à l’Ukraine pourrait s’inspirer du « modèle danois » qui consiste en pratique à financer directement la production d’armes par l’industrie ukrainienne elle-même. Le Commissaire à la défense Kubilius souhaite que les pays européens utilisent le mécanisme SAFE de Rearmer l’Europe (ci-dessus) pour doubler l’aide à l’Ukraine (80 milliards d’euros au lieu de 40 milliards) en « investissant dans la production domestique (ukrainienne) ». Problème : cela signifierait pour les grands pays militarisés (Allemagne, France, Italie, RU) accepter de voir une industrie d’armement concurrente émerger. L’industrie ukrainienne vient de montrer ses capacités et sa créativité (Operation Spiderweb de destruction de bombardiers et d’avions de combat russes). Airbus, BAE Systems, Dassault, Léonardo, peuvent-ils accepter ces concurrents ukrainiens ?

Conclusion :

  1. Ôter des mains des grands groupes financiarisés européens de la défense la production d’armes est une urgence
  2. Il faut dénoncer le plan Rearm Europe qui utilise l’invasion russe pour engraisser les systèmes militaro-industriels
  3. Pas d’armes pour les dictatures, des armes pour l’Ukraine

III. Une sécurité collective européenne ? Questions sur la défense européenne et lOTAN

Par Bernard Dréano (Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale CEDETIM)

Un point de méthode

Les points de vue peuvent différer entre nous au sein du ENSU-RESU, selon nos perceptions des urgences et des menaces, les expériences historiques et les situations politiques dans chacun de nos pays, à propos de ce qu’est ou pourrait être une politique de défense et une sécurité collective en Europe. Tous ceux et celles qui contribuent à notre Réseau soutiennent la résistance armée et non-armée du peuple ukrainien peuvent avoir des sensibilités diverses, et même peut être sur certains ponts particulier des différences.

L’OTAN réellement existante

L’OTAN est supposée être l’outil militaire de l’Alliance Atlantique euro-américaine, conçue pendant la période de la guerre froide, dont les bases politiques n’ont jamais été réactualisées et dont l’unité idéologique est en question. Surtout cette Alliance n’est pas une alliance entre égaux, mais entérine une prééminence des Etats-Unis d’Amérique, y compris dans le système organisationnel de l’OTAN, tandis que les décisions stratégiques ne sont pas prises après concertation de tous les alliés. L’OTAN est chargée d’en assurer certaines application concrètes.

En réalité l’OTAN est une agence fonctionnelle, productrice de normes et de méthodes. Elle assure l’interopérabilité des armées des pays membres, interopérabilité aussi avec celles de très nombreux pays non-membres, en Europe, en Asie, au Moyen-Orient… Cette fonction d’agence favorise la fourniture d’équipements Etats-Uniens pour les armées concernées.

L’OTAN est perçue par la majorité des Etats membres et souvent de leurs opinions publiques comme une « police d’assurance », l’article 5 de sa charte prévoyant que les membres sont solidaires les uns des autres. La garantie d’un « parapluie nucléaire » n’est qu’implicite et ne figure pas dans le contrat.

Pratiquement l’OTAN en tant que telle n’est jamais intervenue dans les conflits armés durant la guerre froide (mais « l’agence OTAN » a pu jouer un rôle technique). La première intervention militaire sous drapeau OTAN a eu lieu en Bosnie-Herzégovine sous mandat de l’ONU en 1992 suivie par l’intervention dans la guerre du Kosovo sans mandat de l’ONU en 1999. La plus longue, pendant vingt ans (2001-2021)  en Afghanistan, l’OTAN étant alors agence sous-traitante sous la domination des Etats Unis (opération Enduring Freedom). Pourtant, après le désastre final, les autorités de l’OTAN se sont « félicitées » d’une campagne dont les fondements et modalités n’ont jamais été discutés sérieusement dans les Etats membres.

Aujourd’hui face à la guerre d’agression russe en Ukraine, ce n’est pas l’OTAN qui décide, se limitant à son rôle d’agence animatrice du « groupe de Ramstein » des pays fournisseurs d’armes à l’Ukraine.

Il n’y a pas de « pilier européen » de l’OTAN et le commandement suprême européen est assuré par un américain). L’OTAN a changé le nom de son « commandement intégré » pour faciliter la réintégration en soin sein de la France en 2009 (quoiqu’en réalité elle ne l’avait jamais quitté), devenant « commandement opération » et laissant aux Français un « commandement transformation » qui ne commande rien. La même année 2009 les Etats Unis ont institué un nuclear sharing, officialisant la présence d’armés nucléaires américaines dans cinq pays membres (Belgique, Pays Bas, Allemagne, Italie, Turquie), très théoriquement associés à une décision d’emploi. L’achat d’avions Lockheed-Martin F-35 faisant partie des clauses non écrite du contrat. Enfin le Conseil OTAN-Russie a bien fonctionné de 2002 à 2008, et n’a été supprimé qu’en 2014.

L’Union Européenne

La question est développée par ailleurs. Retenons simplement que la Communauté (puis Union) Européenne est fondée en écartant explicitement l’aspect de sécurité militaire (implicitement réservé à l’OTAN), mais en 1992 est établie une « politique étrangère et de sécurité commune » , en 2007 une « politique de sécurité et de défense commune » (inclue dans la précédente), en 2016 une « coopération structurée permanente » et enfin en 2025 la programme Rearm Europe (rebaptisé d’ailleurs Readiness 2030).

Ajoutons que l’article 42 du traité de Lisbonne de 2007 prévoit aussi la solidarité des Etats membres en cas d’agression contre l’un d’eux.

Sur quoi fonder une sécurité commune et une défense ?

Les mouvements progressistes en Europe ont généralement évité de se poser sérieusement les questions de sécurité et de défense commune.

La plupart des courants sociaux-démocrates, (mais pas qu’eux) ont accepté la posture atlantiste et l’OTAN comme « garantie », quelques-uns se contentant de déplorer l’absence d’un pilier européen de l’OTAN.

Les gauches radicales et écosocialistes ont d’un part dénoncé (avec plus ou moins de cohérence ou pas de cohérence du tout et très peu d’efficacité) les actions militaires impérialistes auxquelles participaient des armées européennes, et d’autre part généralement dénoncé l’OTAN et la militarisation de l’Union européenne.

Tout cela est resté très abstrait, et non sans dérives (refus de soutenir la résistance du peuple ukrainien contre l’impérialisme russe pour certain, refus ou incapacité d’intervenir pour faire cesser la guerre génocidaire israélienne en Palestine pour d’autres…)

Il est nécessaire de s’emparer des questions de défense et de sécurité avec des actions à court terme, et des propositions à long terme.

Au début du XXIe siècle personne ne savait plus sur quel consRESUs géostratégique et politique de sécurité était fondée l’Alliance Atlantique. Les divergences en matière de priorités ou de programmations était évidentes, entre les Etats Unis et certains Européens, entre les Etats Européens eux même, et l’OTAN plus que jamais réduite à un instrument des politiques définies d’abord à Washington (cf. Afghanistan). La guerre d’agression de Poutine a eu pour effet de brusquement « réanimer » l’OTAN, deux pays neutres, la Suède et la Finlande, ont rallié l’Alliance et intégré l’organisation. Le second mandat de Donald Trump a signifié l’approfondissement des contradictions entre Américains et Européens jusqu’au bord de la rupture, sans pour autant que soit encore définies clairement des alternatives dans ou hors de l’OTAN (coalitions de volontaires, nouvelles formes de communauté de défense ? ...). Quel que soit le futur de la structure OTAN dans un système de sécurité collective (réformée ou supprimée ?) on peut s’interroger sur le fait que depuis des années, presque personne dans les gauches (européennes et nord-américaines) n’ai demandé ou ne demande des comptes sur l’activité de l’organisation, dans les instances parlementaires nationales, à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, sur ce qui est dit au Conseil de l’Atlantique Nord ?

Avant même de savoir comment défendre, avec quel moyens militaires et civils, faut-il d’abord s’interroger sur ce que l’on veut défendre et si les moyens politiques ou matériels mis en œuvre sont cohérent avec cette volonté et susceptible de préserver une paix durable.

Les bases existent :

Dans les Etats européens (tous sauf la Russie et la Biélorussie), la Convention européenne des droits de l’homme a force de loi, et tous sont censés accepter les jugements de la Cour européenne des droits de l’homme. Très significativement certains partis de droite et l’extrême droite européenne attaquent cette institution et la convention.

A la fin de la guerre froide, les européens et les nord-américains ont créé une organisation spécialisée pour assurer la sécurité commune, l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), mais dont malheureusement la mise en œuvre a été entravée par ceux-là même qui l’avaient fondé (pas seulement les Russes). Le projet reste à revitaliser.

La plupart des Etats européens souscrivent non seulement et par définition à la Charte des Nations Unies, mais aussi à un corpus de lois et traités concernant la sécurité, le droit international et notamment le droit humanitaire, le contrôle des armements, comme le traité de l’ONU sur le commerce des armes (TCA) de 2014 ou la directive européenne de 2008 sur le même sujet.

De tels textes ne sont pas contradictoires avec des politiques de défenses, y compris dans leurs dimensions proprement militaires, ils constituent la base commune de ce qu’il faut défendre et doivent orienter l’organisation et la mise en œuvre des moyens de défense.

IV. Remarques conclusives (« actualisées ») de la réunion (Catherine Samary)

Un positionnement se dégage des introductions et du débat, du point de vue RESU :

a) L’exigence de transparence sur les choix et politiques menées au nom de la «sécurité collective»

b) Une critique des forces politiques dominantes qui combinent leur soutien au militarisme avec des attaques contre les droits sociaux et les services, tant dans leur discours que dans leurs politiques budgétaires.

c) Mais aussi une critique du pacifisme abstrait non solidaire de la résistance ukrainienne face à l’agression russe - voire faisant des aides apportées à l’Ukraine la cause de la guerre. Pour nous, comme pour nos camarades ukrainiensNEs, « De l’Ukraine à la Palestine, l’occupation est un crime ».

Donc globalement émerge l’exigence de contrôle public, démocratique, des productions et des budgets avec analyse concrète des conflits et guerres : dans chaque pays et à l’échelle européenne : quelle production d’armes, par qui, pour qui, pour quelles finalités ? La « politisation » du débat sur les armes et la « sécurité » dans une optique solidaire « par en bas » avec les résistances populaires aux agressions implique la socialisation des industries d’armement. Le contrôle des choix est lui-même associé aux liens par en bas (politiques, syndicaux, féministes, écolos…) avec les associations de résistance aux politiques néocoloniales.

Contre l’utilisation abusive de la notion « d’économie de guerre » (cf. Macron) soutenant les profits et exportations des industries d’armement vers des forces réactionnaires :  il est possible d’un point de vue européen altermondialiste de s’opposer à la militarisation des budgets et des esprits et d’exiger une aide concrète à la résistance ukrainienne et à sa nécessaire « économie de guerre »  (comme le font les Danois) en fonction de besoins spécifiés. Cf. les conclusions de l’intervention de Claude Serfati : des armes pour l’Ukraine, pas pour Israël…

Dans cette même logique de contrôle et politisation du débat sur « quelle sécurité européenne » sur la base de droits (cf. Bernard Dréano), il est possible de s’opposer aux pseudo-choix imposés entre « sécurité » militaire (droit de résister les armes à la main contre une agression) et défense des droits sociaux. C’est l’orientation défendue par nos camarades en Ukraine, luttant sur plusieurs fronts et soulignant que consolider la résistance populaire face à l’agression russe, c’est renforcer les droits et services sociaux et non pas les attaquer comme c’est fait sur la base d’une logique néo-libérale—de Zelensky à Trump en passant par l’UE.