Botakoz Kassymbekova Daria Badior
Selon l’historienne kazakhe Botakoz Kassymbekova, maître-assistante à l’Université de Bâle et autrice d’une étude innovante sur « l’innocence impériale russe », il convient d’analyser ce qui produit exactement la pensée coloniale et le système d’oppression des autres peuples, ainsi que le langage utilisé pour en parler. Kassymbekova est interviewée par la journaliste ukrainienne Daria Badior.
Lors d’un débat au Forum des Médias de Lviv, vous avez déclaré que l’étude du processus de décolonisation demande des nuances, la mise à l’écart de dichotomies, de concepts et d’explications simplistes. Pourriez-vous développer vos propos ? Quels concepts et éléments de langage doivent être redéfinis ?
Les mots et le langage façonnent la réalité. Ils déterminent le cadre de notre système de pensée. Lors d’une table ronde, les journalistes se sont interrogés sur la façon de parler des décisions du Kremlin. Doit-on écrire « Moscou a déclaré ceci et cela » ? La question étant de savoir si nous légitimons ce qu’ils disent en nous exprimant ainsi, et si nous ne devrions pas tout simplement écrire que le Kremlin nous ment ? Car la réalité que nous décrivons dépend des mots que nous utilisons.
Dans un contexte colonial, le mode de pensée est induit par une terminologie conçue en faveur de la colonisation. Ainsi, la « nation titulaire » [la nation ou plus exactement l’ethnie qui donne le nom au pays, en russe титульная нация, régulièrement mentionnée en Russie pour parler des Russes ethniques, NDLR], est une expression très coloniale.
Lors d’un débat au Forum, au cours duquel il était question de la Fédération de Russie, des collègues occidentaux utilisaient sans cesse l’appellation « les Russes ». J’ai alors demandé : « Qu’entendez-vous par là ? Englobez-vous dedans les Tchétchènes et les Daghestanais ? » Ils m’ont répondu : « Et bien, les Russes sont la nation titulaire, et comme ils représentent 80 % de la Russie, c’est d’eux que nous parlons. »
Mais le concept de « nation titulaire » gomme toutes les autres nations, et si vous utilisez ce concept dans vos recherches, cela signifie que vous ignorez les autres peuples, que vous effacez leur expérience propre. Même si vous n’êtes pas d’accord avec le terme, les savoirs à partir desquels vous travaillez sont basés sur lui. C’est une arme du colonialisme. Nous devons donc nous demander : pouvons-nous encore utiliser ce concept ? Il convient de tout repenser et de réfléchir à ce qui génère une pensée coloniale et un système d’oppression des autres peuples. Nous devons faire attention à la façon dont nos mots effacent certaines choses.
Que pensez-vous du terme « post-soviétique » ? Lors des récentes manifestations de protestation à Tbilissi, les médias occidentaux ont largement utilisé l’expression « la Géorgie post-soviétique », apparemment pour faire la distinction entre la Géorgie en tant que pays et la Géorgie en tant qu’État des États-Unis. Mais ne sommes-nous pas en train de prolonger la vie de l’Union soviétique en utilisant constamment le mot « post-soviétique » ?
Avant tout, nous devrions nous demander si en parlant de « post-soviétisme », on se réfère au temps historique ou à l’espace géographique. De plus, ce terme masque les hiérarchies, en recréant l’idée selon laquelle « tout le monde faisait partie de la même union », dépourvue de centre et de périphérie. C’est un terme qui gomme en outre la période d’indépendance et d’autodétermination des nations depuis 1991. On part du principe que les nations devenues indépendantes devraient toujours faire allégeance à l’Union soviétique, à l’empire et donc à Moscou. Ainsi, le terme remplit insidieusement une double fonction : d’une part, il fait taire les hiérarchies qui existaient en URSS et, d’autre part, il les reproduit.
En Asie centrale et dans le Caucase, aucune publication scientifique et aucun institut de recherche ne se revendique comme « post-soviétique ». Nous n’utilisons pas cette terminologie. Ce genre de classification nous est toujours imposée par les observateurs extérieurs, elle gomme l’action et la volonté propre des États anciennement satellites. Des termes aussi vagues peuvent sembler indiquer une pauvreté de l’imagination politique. Cependant, nous devrions plutôt nous poser la question suivante : et s’il ne s’agissait pas d’une faiblesse ou d’une paresse, mais plutôt d’un terme très productif et utile ? On l’aime beaucoup à Moscou, car il lui garantit sa place au centre de l’échiquier politique.
On pourrait avoir l’impression que le terme réunit deux écoles de pensée centralisées et impérialistes : il est volontiers utilisé aussi bien par les Russes que par les Européens de l’Ouest. Cependant, si l’on considère les quelques dernières années et pas uniquement les quinze derniers mois, observe-t-on un changement d’approche dans le discours public et dans les médias vis-à-vis de l’Asie centrale ?
Lorsqu’en janvier 2022, des émeutes ont été réprimées au Kazakhstan, la seule réaction a été de se dire, « il se passe quelque chose à la frontière de la Russie ». Personne n’a cherché à savoir ce qui se passait réellement et quelle était la problématique du Kazakhstan et de sa population.
Une collègue et moi venions justement de publier un article destiné à analyser les termes : « post-soviétique », « espace eurasien », « Est global ». Tous les concepts utilisés en lien avec l’Ukraine sont également utilisés en référence au Kazakhstan. Cela pose un vrai problème. Nous ne devrions pas seulement nous contenter de revoir et de modifier le langage colonial. Nous devons devenir des producteurs de connaissances (knowledge producers). Et nous devrions parler de nous-mêmes en tant que producteurs de connaissances.
Ainsi, je suis souvent conviée à m’exprimer au sujet de l’Asie centrale. Je précise alors que je suis aussi historienne de la Russie. Or, si l’on considère normal qu’un chercheur russe parle de l’Asie centrale, je ne suis en revanche jamais invitée à m’exprimer au sujet de la Russie. C’est là une négation de ma compétence et de mon rôle en tant que productrice de connaissances, y compris sur la Russie.
Les principales conférences autour de l’Europe de l’Est et de l’Asie centrale ont lieu aux USA et au Royaume-Uni. J’estime qu’il serait utile d’organiser une grande conférence dans la région, par exemple en Ukraine. Pourquoi ? Parce que dans ce cas les débats seraient différents. Lorsque nous nous rendons aux États-Unis, nous sommes sur la défensive : « Il ne faut pas nous dépeindre de cette façon et parler de nous ainsi. » Ici nous aurions une vraie discussion, nous pourrions créer nos propres catégories discursives et nos échanges seraient différents.
En outre, aux États-Unis, on regarde notre région à travers un prisme américain : on y discute de capitalisme et de socialisme, mais surtout de capitalisme, parce que c’est le sujet le plus intéressant pour eux. Cependant, je suis convaincue que nous avons besoin de lieux de discussion différents. Des discussions très importantes, nécessaires et productives ont lieu aux États-Unis : sans l’Association pour les études slaves et eurasiennes (ASEEES), par exemple, nous n’aurions pas soulevé la question des races, laquelle, en dépit de son importance, n’est volontairement jamais abordée en Europe centrale, en Europe de l’Est et en Russie. Cependant, nous avons également besoin d’autres plateformes de dialogue au sein desquelles nous pourrions décrypter nos sociétés avec notre propre regard. Nous devons produire des connaissances non seulement sur notre région, mais aussi sur les États-Unis, les pays africains, l’Amérique du Sud, etc. Nous avons besoin de conférences où nous interprétons le monde et où nous changeons la perception que nous avons de nous-mêmes. Cela fera partie d’un processus de subjectivation politique et épistémique. Il s’agira d’une véritable décolonisation. Être constamment sur la défensive, c’est rester dans une relation coloniale avec l’empire.
J’espère que nous pourrons organiser une telle conférence en Ukraine, et je pense que ce sera une façon de faire de l’Ukraine un acteur important, durable et influent. De plus, les universitaires et les intellectuels de la région ont confiance en la capacité de l’Ukraine et de sa société d’aborder cette question. Ce dialogue sera basé sur la confiance et la solidarité. Nous avons besoin de solutions structurelles, pas seulement de guerres narratives. Nous ne devons pas nous contenter d’être des éditeurs, mais des auteurs.
Je pense en effet que ce serait un défi majeur pour l’Ukraine. J’ai l’impression que le cœur des discussions intellectuelles dans le pays est pour l’instant autocentré pour des raisons évidentes. L’Ukraine a désormais plus d’agentivité et nous sommes maintenant davantage entendus dans le monde, mais il est de notre responsabilité de réfléchir à la question de savoir si nous parlons uniquement de nous-mêmes ou si nous amplifions les voix des pays, des sociétés et des communautés de la région qui ne sont pas aussi bien entendues.
J’ai eu des expériences positives avec des universitaires, des militants et des journalistes ukrainiens. Par exemple, Maksym Eristavi et sa collègue Valeriia Voshchevska sont en train de créer une plateforme de conversation entre les habitants de la région : Ukrainian Spaces. Cette plateforme est vraiment puissante et montre qu’il est possible de reformuler le récit, de construire des solidarités qui changent les règles du jeu. Ukrainian Spaces a modifié notre façon de penser et de parler pour la rendre plus éthique, plus sensible et plus responsable. Cette manière de discuter est en soi un message. Un tel dialogue influence d’autres discussions publiques et universitaires, et c’est important. Cela n’existe pas dans les autres pays.
Pourquoi ne pas tenter d’étendre la zone de discussion à la Pologne, d’autant plus qu’elle gagne en importance au sein de l’Union européenne et que le centre de gravité politique de l’Europe se déplace vers l’Est ? Que pourrait-on attendre de la Pologne dans ce contexte ?
J’aime bien ce qu’Anne Applebaum a écrit dans l’un de ses articles : l’Europe de l’Est a toujours été incomprise et l’Europe de l’Ouest a fréquemment fait des prévisions erronées à son égard. Elle ajoute dans un autre article que les habitants d’Europe de l’Est devraient engager le dialogue avec le « Sud global », car pour l’Europe de l’Ouest, un tel dialogue est devenu difficile : elle a perdu dans cette région la confiance et le pouvoir. Or les Européens de l’Est savent ce que signifie avoir été colonisé et marginalisé et ont donc matière à échanger avec les pays du Sud. Reste à savoir si nous possédons suffisamment d’ouverture d’esprit pour relier l’Ouest, l’Est et le Sud sur une plateforme commune. Sommes-nous assez mûrs pour ce genre de dialogue global ? Cela ne dépend que de notre volonté politique et de notre capacité d’imagination.
Nous ne devons pas non plus marginaliser l’Europe de l’Ouest, sinon de nombreux objectifs resteront inatteignables. Critiquer la mentalité impérialiste et les mauvaises décisions, les erreurs de raisonnement et d’évaluation que celle-ci entraîne est une chose, mais il est préférable d’affronter les faits. Si nous nous contentons de créer de nouveaux concepts creux et des constructions idéologiques en collant des étiquettes, cela n’avancera à rien et nous n’agirons pas. Nous devons être ouverts au dialogue, aux actes et à la prise de décision basée sur des faits.
Vous avez rédigé un livre sur les débuts de la période soviétique au Tadjikistan (Despite Cultures. Early Soviet Rule in Tajikistan) et vous avez pu avoir accès à des archives qui, je crois, sont peu accessibles et soumises à la censure. Pourriez-vous nous exposer vos recherches ? Comment en êtes-vous arrivée à cette thématique ?
Les populations d’Asie centrale se connaissent très mal entre elles. Nous sommes séparés et ne parlons pas les uns des autres. Je ne connaissais rien du Tadjikistan. Le fait de m’y rendre fut donc un moyen de combler ce fossé. Toutes les discussions entre républiques passaient par Moscou. Il n’y avait par exemple aucun dialogue entre Ukrainiens et Turkmènes. Seule existait la relation hiérarchique.
On me disait : « Si tu es Kazakhe, tu dois écrire sur l’histoire de ton pays ». Je m’y refusais. Pourquoi les Russes peuvent-ils écrire à notre sujet, et nous-mêmes n’aurions-nous pas le droit d’écrire sur un voisin de la région ?
Je souhaitais en apprendre plus sur ce qui se passe dans les autres régions d’Asie centrale, je souhaitais découvrir une autre langue, le tadjik. Je me suis rendue au Tadjikistan juste après la guerre (dans la deuxième moitié des années 1990), à une époque où les archives étaient beaucoup plus accessibles. J’ai eu non seulement accès aux archives communistes mais aussi à l’ensemble des archives de l’État. Le plus gros problème, c’est que la plupart des archives importantes se trouvent toujours à Moscou. Il y a aussi des archives en Ouzbékistan mais je n’y ai pas eu accès. J’ai néanmoins eu la chance de pouvoir consulter les documents dont j’avais besoin tant que c’était encore autorisé. Mais bien évidemment, de nombreux documents secrets étaient interdits d’accès.
Les documents que j’ai étudiés au Tadjikistan m’ont permis de comprendre que l’empire soviétique était à la fois colonisateur (settler colonial empire) et répressif (penal settlerism). Les Goulags, par exemple, ont été le système officiel de colonisation de la Sibérie. Les personnes persécutées étaient envoyées au bagne en Sibérie et devenaient elles-mêmes colonisatrices. Néanmoins, parmi les personnes déportées en Sibérie, certaines n’adhéraient pas aux visées idéologiques impériales.
Une anthropologue suisse m’a raconté récemment qu’elle avait rencontré un Russe ayant vécu durant de longues années dans une ville soviétique fermée au sud du Kazakhstan. Lorsqu’il se rendait dans le village voisin, il qualifiait cela d’excursion « en Asie centrale ». De son point de vue, la ville fermée était « la Russie », avec pour capitale Moscou. Il regardait la télévision russe et mentalement il continuait à vivre en Russie. Si quelqu’un continue à vivre mentalement en Russie, c’est un colon. Mais ceux qui ont été déportés au Kazakhstan et qui avaient pour capitale Astana, ceux-là ont cessé d’être des colons. La question est simple : où situe-t-on sa loyauté ?
L’importance de la colonisation a été entretenue par le pouvoir soviétique. Selon la rhétorique officielle, on était envoyé là-bas afin d’éduquer et d’instruire les populations autochtones. Beaucoup de gens ont vécu toute leur vie avec cette idéologie. Ils n’étaient pas à leurs propres yeux des colons, mais des représentants du centre, des « travailleurs européens », comme on les appelait dans les années 1920.
Outre les colonies pénitentiaires, les autorités soviétiques organisaient aussi des colonies agricoles où l’on envoyait des gens s’occuper de kolkhozes. Elles construisaient également des colonies industrielles où étaient envoyés des ingénieurs, des professeurs et autres. Enfin, les organisations du parti et l’armée, étant de loin les plus influentes puisqu’elles détenaient le pouvoir, ont été colonisées dans chaque république.
L’histoire est complexe, car parmi les déportés, il y a eu beaucoup de paysans ukrainiens, des koulaks, envoyés en Asie centrale dans les années 1930 pendant le génocide. Certains déportés sont restés dans les villages où ils s’étaient installés. S’ils restaient ukrainiens, ils étaient des victimes de la politique de colonisation. Mais d’autres ont pu se russifier, aller en ville, s’instruire et s’installer en Estonie, par exemple, dans les années 1950. Telle était la « carrière » du colon, l’ascenseur social. À la même époque, les habitants d’Asie centrale n’étaient pas autorisés à s’installer en Estonie. Cependant, de nombreux Ukrainiens sont rentrés chez eux à la première occasion et ne sont pas devenus des colons. Les trajectoires étaient nombreuses et variées.
La différence relèverait donc d’un choix géographique et culturel ? Soit on choisit de rester sur le lieu de déportation, soit on retourne chez soi ?
On pouvait décider de s’intégrer à la population locale, ne pas se russifier et par là-même ne pas être un agent du pouvoir central. […]
De nombreux Ukrainiens ont vécu en Asie centrale pendant la période soviétique et ont contribué à ces interactions complexes avec le pouvoir. Si nous reconsidérons cette période et cet héritage, que peuvent-ils nous apprendre ? Quelles sont les implications éthiques pour nous aujourd’hui ?
Lorsqu’il s’agit de décider ce qui est éthique et ce qui ne l’est pas, il faut se fonder sur des informations et des faits. Pour avoir une vue d’ensemble, nous devons comprendre le système et son fonctionnement. En d’autres termes, il convient d’une part d’assumer ses responsabilités, mais aussi de ne pas tomber dans la dichotomie « victime-oppresseur ». Bien sûr, il y a eu des victimes, toutefois l’objectif de notre analyse approfondie ne doit pas être de porter un simple jugement, mais de comprendre comment nous voulons créer notre présent et notre avenir. […] Certains Russes que je rencontre disent : « Je me sens coupable. » D’accord, mais cela ne m’aide en rien. Discutez avec moi ! […] Il faudrait pouvoir parler d’égal à égal. Comment peut-on discuter avec une personne si elle est essentiellement animée par un sentiment de culpabilité ? Cette personne a déjà gagné étant donné que ce sentiment de culpabilité la rend intouchable et me place en position d’agresseur. C’est pourquoi il est primordial d’aborder l’histoire de manière factuelle. […]
Vous travaillez actuellement sur un livre intitulé L’Innocence impériale. Que recouvre ce concept et à quoi sera consacré votre livre ?
Il s’agira d’un tout petit livre. J’en suis coautrice, en partenariat avec Kimberly St. Julian Varnon, une historienne ayant obtenu un doctorat à l’université de Pennsylvanie. Indépendamment l’une de l’autre, nous avons inventé le terme d’ « innocence de la Russie ». Kimberly écrit sur « l’innocence raciale », décrivant l’inexistence supposée de racisme en Russie, et moi j’écris sur « l’innocence impériale ». Mon approche tient au fait que les chercheurs russes se vexent dès lors qu’on évoque l’impérialisme et la colonisation. Ils sont intimement convaincus qu’ils sont de bonnes personnes, simplement victimes du système. Ils nient vivement le fait que la Russie puisse être un empire. À un certain moment, je me suis rendu compte que cette négation était une construction propre à l’impérialisme et que l’idée d’innocence était un produit de leur culture. Le livre commence avec le mémorial au soldat soviétique, symbole de la libération de Berlin en 1945, construit au parc de Treptow [à Berlin], et sa reproduction scénique au stade Loujniki à Moscou, à l’occasion du premier anniversaire de l’invasion de l’Ukraine. Dans cette mise en scène, un soldat russe qui porte le nom de Iouri Gagarine, comme le célèbre astronaute, est présenté en « libérateur » de Marioupol et « sauveur » de 367 enfants ukrainiens. Les appellations sont également importantes : au front, ce soldat avait pour nom de code « l’Ange ». C’est une poursuite de la sacralisation et la conviction que les Russes seraient innocents, saints et bons, ayant libéré la ville du « fascisme », soucieux de l’amitié entre les peuples. « L’amitié entre les peuples » est codifiée dans des films de propagande soviétiques : Le Soleil blanc du désert et Le Prisonnier du Caucase, par exemple, films peu soumis à un examen critique jusqu’à présent. Dans ce livre, nous décryptons comment les phénomènes culturels ont induit ce sentiment d’« innocence », qui se traduit dans les faits par un colonialisme brutal, raciste et génocidaire, mais sous couvert de « bonté ». Beaucoup de gens ont adhéré à cette idée d’ « innocence » et s’imaginent que « l’amitié entre les peuples » à la sauce soviétique consiste à intégrer les communautés. Mon rôle est donc d’écrire que l’« amitié entre les peuples » est une construction génocidaire.
Traduit du polonais par Jacques Nitecki et revu par Rosine Klatzmann
Cet entretien a été publié en polonais par le media en ligne Dwutygodnik, dont la branche ukrainienne est subventionnée par le centre du dialogue Juliusz Mieroszewski, ainsi que par l’institut des sciences humaines de Vienne. Nous remercions la rédaction pour l’autorisation de publier ce texte.