Solidarité FreeAzat
Communiqué de l’association Solidarité FreeAzat — Le 28 mars 2024, le mathématicien russe Azat Miftakhov a été condamné par le tribunal militaire de Ekaterinbourg à 4 ans de prison, dont 18 mois dans une prison de haute sécurité, pour « apologie du terrorisme », suite à un simulacre de procès.
Le procès s’est déroulé entre février et mars 2024, sur quatre audiences, qui ont principalement consisté à entendre trois témoins de l’accusation, et deux experts linguistiques. Les seuls faits reprochés à Azat : avoir prétendument commenté un attentat de 2019 devant un de ses codétenus alors qu’il regardait la télévision. Azat nie les faits.
Deux des témoins sont d’anciens codétenus d’Azat. Le premier, condamné pour viol en réunion, était quelqu’un qu’Azat avait connu en détention et qu’il considérait comme un ami et confident. Le deuxième, condamné pour vol avec violence, a rejoint l’équipe d’Azat en mai 2023 ; en septembre, il a bénéficié d’une remise de peine, n’ayant purgé que 6 mois au lieu de 2 ans. L’identité du troisième témoin est tenue secrète.
Lors de la dernière audience du 28 mars, le juge a nié avoir reçu la lettre de soutien émanant du Président de la Société mathématique de France, lettre dûment envoyée à la Cour le 8 mars 2024. Enfin, lors de la dernière déclaration d’Azat en fin d’audience le 28 mars, la Cour l’a interrompu au bout d’une minute et a demandé à la presse d’arrêter de filmer Azat.
Sur la base de ces aveux douteux, le tribunal a jugé Azat coupable d’« apologie du terrorisme » et l’a condamné à 4 ans de prison. Il aggrave la peine en précisant que sur ces 4 ans, Azat devra passer 18 mois dans une prison de haute sécurité, de « régime sévère », comme on dit en russe. Les conditions de détention dans ces prisons sont extrêmement dures, aussi bien physiquement que moralement.
Depuis sa deuxième détention, le 5 septembre 2023, Azat a reçu de nombreux soutiens.
Le 6 septembre 2023, Le Monde a publié un article sur le cas d’Azat Miftakhov et le lancement de son deuxième procès.
Le 27 février 2024, le journal français d’investigation Mediapart a publié un troisième article sur Azat.
Le 30 janvier 2024, le journal brésilien Le Monde Diplomatique a publié un article sur Azat.
En France, l’association Solidarité FreeAzat a organisé un concert pour Azat avec le groupe Arkadi Kots, le 1er octobre 2023.
Le 19 janvier 2024, la députée française Sophia Chikirou est intervenue publiquement : « Ce soir j’ai une pensée toute particulière et toute émue pour Azat qui est un mathématicien qui est emprisonné dans une colonie en Russie et pour lequel nous sommes mobilisés et nous continuerons de nous mobiliser en espérant sa libération. »
Le samedi 2 février, sur la chaîne de télévision française LCI, le député Aurélien Saintoul est intervenu : « Je participe à la campagne de soutien d’un mathématicien de 26 ans extrêmement brillant qui s’appelle Azat Miftakhov et qui est un opposant de fait, puisqu’il était un opposant à la guerre en Ukraine. Il a été mis en prison de façon évidemment odieuse, on a créé de fausses preuves contre lui etc, etc…Nous avons une responsabilité nous, de tâcher de soutenir par tous les moyens possibles le camp de la paix, le camp de la raison, dans la société civile russe. »
Lors de sa dernière déclaration au tribunal, le 28 mars, Azat s’est exprimé ainsi :
« Je remercie toutes celles et ceux qui m'ont écrit des lettres pleines de chaleur et de bons vœux. Même en étant dans cette prison au fin fond du pays, j'en ai reçu des piles presque chaque semaine. Je suis sûr que ceux qui voulaient me briser devaient avoir à l'esprit une telle attention à mon égard. Je trouve très agréable et touchant que les gens partagent avec moi un épisode de leur vie, qu'il soit joyeux ou triste. Chaque lettre m’est très chère et toutes reçoivent mon attention. [...]
Je suis extrêmement reconnaissant aux militants des collectifs “FreeAzat” et “Solidarité FreeAzat” qui organisent des campagnes et des événements de soutien à une échelle qui dépasse mon imagination. Votre récente campagne des “Mille et une lettres” était l'une d'entre elles. Après les avoir toutes lues, j'ai été agréablement surpris d'apprendre que des personnes de dizaines de pays différents s'inquiètent pour moi. Merci beaucoup à celles et ceux qui ont participé à cette campagne et qui m'ont montré à quel point ils me soutiennent. »
La campagne des 1001 lettres initiée par Solidarité FreeAzat a permis d’envoyer à Azat 1090 lettres de 61 pays différents, couvrant les 5 continents. Parmi les auteurs des lettres, on compte : Monsieur Patrick Beaudouin, Président de la Ligue des Droits de l’Homme, Monsieur Christian Eyschen, Président de la Libre Pensée, cinq députés français de l’Assemblée nationale, le député allemand Andrej Hunko, un député russe de la Douma de Moscou, Evguenii Stupin, et plusieurs anciens députés municipaux russes comme Sergueï Tsukasov.
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Comment le FSB a procédé pour préparer pendant plusieurs mois l’inculpation d’Azat
Le 27 février 2023, des perquisitions ont eu lieu en Russie, chez plusieurs militants anarchistes. La presse officielle russe annonce que ces «investigations» visent à identifier une nouvelle cellule « moscovite » dans l’affaire du « Réseau », pourtant close en 2020. Le nom d’Azat est dans la liste des membres potentiels de cette nouvelle cellule. Parallèlement, plusieurs personnes condamnées dans l’affaire du Réseau et purgeant leurs peines sont transportées dans la prison de Lefortovo, à Moscou, pour y être interrogées par le FSB. Une fois de plus, le nom d’Azat est évoqué par les enquêteurs lors de ces interrogatoires.
Le 19 mars 2023, le journal français d’investigation Mediapart publie un article sur Azat, expliquant les méthodes du FSB : torturer des militants pour qu’ils fassent de faux aveux. Mediapart obtient même l’interview de deux militants anarchistes russes, arrêtés, torturés et désormais réfugiés politiques en France. En 2018 déjà, l’un d’entre eux s’était vu demander par le FSB de donner le nom d’Azat.
En juillet 2023, le FSB de la ville de Kirov s’est rendu dans le centre de détention où se trouvait Azat et a procédé à l’interrogatoire de deux de ses codétenus. Azat, lui, avait été préalablement placé au « mitard », dans une « cellule d’isolement punitive », où il restera jusqu’au terme de sa première peine, le coupant ainsi de tout contact avec les personnes qui l’inculperont au deuxième procès.
Le premier codétenu était quelqu’un qu’Azat considérait comme un ami : proche d’Azat dans la hiérarchie informelle des détenus, il avait gagné depuis quelque temps sa confiance et était devenu son confident.
L’autre codétenu avait été placé dans la même équipe de travail qu’Azat au mois de mai 2023. Il a bénéficié d’une remise de peine et a été libéré, fin septembre 2023, deux semaines après le début de la nouvelle affaire contre Azat, ne purgeant que six mois sur les deux ans qu’il aurait dû passer en prison.
Ces témoins affirment qu’Azat aurait fait à son ami des déclarations élogieuses sur l’attentat de Mikaïl Jlobitski. Le deuxième témoin aurait, de loin, entendu cette discussion. Mikhail Jlobitski est un anarchiste de 17 ans qui s’est fait exploser dans le bâtiment du FSB de la ville d’Arkhangelsk en novembre 2018, pour protester contre la vague de répressions qui frappait les milieux anarchistes à l'époque.
Dans les années qui ont suivi cette affaire, le pouvoir russe a poursuivi pour « apologie du terrorisme » de nombreuses personnes qui avaient osé prononcer le nom de Jlobitski sans le condamner clairement*. Azat, parfaitement au courant de ce risque, n’aurait jamais évoqué le nom de cet anarchiste, et a nié les faits au tribunal.
Lors du procès, en plus des accusations énoncées ci-dessus, les témoins ont affirmé que ce n’est nul autre que le militant politique et syndical Mikhaïl Lobanov qui aurait «appris à Azat l’anarchisme». Accusation qui ne correspond pas à la chronologie des événements, car les deux n’ont fait connaissance que quelques jours avant la première arrestation d’Azat en 2019.
Sur la base de ces « témoignages », Azat a été fiché « terroriste » le 17 août 2023 par le Service fédéral du renseignement financier (Rosfinmonitoring), puis placé en détention provisoire dès le 5 septembre 2023 pour « apologie du terrorisme ». Ainsi, toute personne qui parlerait de manière positive d’Azat et dénoncerait sa condamnation risqué, à son tour, d’être classée par le pouvoir russe dans les « apologistes du terrorisme » et poursuivie en justice.