Ukraine : une guerre à nous !

Author

Tassos Anastassiadis

Date
April 8, 2022

Il nous faut apprendre des peuples immédiatement impliqués (Ukrainiens et Russes), en soutenant activement leur lutte contre l’invasion russe

Au moment (9/3/22) où nous écrivons ces lignes, la guerre (la vraie guerre -avec des armes !) fait rage en Ukraine et nous ne pouvons pas prévoir son issue. Cependant, nous pouvons essayer de découvrir ce qui se passe, derrière la propagande, les mensonges, les théorisations intéressées (ou non) et, surtout, de répondre à la question « que faire? » -même si, entre-temps, cela ne sera pas d’une grande aide pour les personnes dans le collimateur des armes.

Il y a heureusement, pour une fois, une leçon spectaculaire: les gens directement impliquées, de façon admirable, nous offrent la ligne de conduite à suivre. Les deux événements impressionnants dès le début de la guerre sont ceux qui se sont remarquablement et immédiatement imposés (alors qu’habituellement les personnes concernées tardent à les mettre en œuvre) :

  1. Tout d’abord, l’opposition directe à la guerre de Poutine au sein de son propre pays. Il ne s’agit pas seulement de l’existence d’une opposition, comme on en a vu dans d’autres cas auparavant, mais de son expression immédiate et relativement massive, sous un régime politique d’une brutalité extraordinaire. L’opposition n’a pas plié malgré 11.000 arrestations dans les premiers jours ! Bien que les chiffres réels puissent être quelque peu différents, la coloration politique est révolutionnaire, surtout si on les compare à d’autres guerres de ce type : celles de la Russie en Tchétchénie, en Géorgie, en Syrie, etc., ou même aux invasions étrangères similaires des grands impérialismes occidentaux, en particulier les USA (considérons le temps qu’il a fallu au mouvement anti-guerre pour le Vietnam, mais aussi plus récemment pour l’Irak, l’Afghanistan) qui en outre se sont développés avec beaucoup moins de clarté.
  2. Le deuxième élément frappant est l’organisation de la population ukrainienne face aux armes russes. Les experts militaires avaient analysé le déséquilibre militaire et prédit le résultat, et cela, le peuple ukrainien le connaissait. Mais, pour la première fois nous l’avons vu aussi clairement, le peuple n’a pas attendu les troupes de son ‘État qu’elles fassent la guerre à sa place, lui restant dans son coin. Sachant mieux que les Clausewitz que la guerre est fondamentalement de la politique, le peuple a donc organisé le ravitaillement, impliqué des volontaires et nous avons même vu des civils se tenir devant les troupes russes pour les interpeller!

Et ce malgré le fait que leurs dirigeants et leur gouvernement aient demandé la protection des impérialismes occidentaux, en réclamant des armes et d’autres soutiens. Or, il est vite apparu que cette guerre n’était pas une guerre de l’OTAN ou de l’Occident contre les Russes -tout au plus c’est l’occasion pour les premiers de se poser en gentils et en protecteurs. Ils avaient d’ailleurs été clairs dès le début -quelles qu’aient été les illusions de la population ukrainienne (et de ses dirigeants). Pour tous les « grands », le monde entier n’a jamais été qu’une grande propriété privée à se partager.

La dynamique exacte (et la profondeur réelle) de ces deux mouvements reste à observer: aussi bien la pratique internationaliste des Russes dans un contexte extraordinairement difficile que les tendances à l’auto-organisation de la population ukrainienne contre les troupes d’invasion peuvent être battues ou même inversées -mais elles pourraient aussi se renforcer… Or, justement, face à la barbarie d’un système capitaliste désormais mondial, qui a mis au centre de sa dynamique la domination des élites, des plus puissants, économiquement et militairement (impérialisme), ce sont ces deux aspects que nous devons prendre en compte et (ré)apprendre, nous qui nous imaginons que cela se passe « fort loin » de nous, ou que « l’ennemi n’est que dans notre pays » -et nous devrions donc nous complaire dans une situation de « non-ingérence »…

À l’intérieur d’une société comme l’Ukraine, mais aussi la Russie, il n’y a pas que ceux qui résistent à la guerre, à l’autoritarisme, aux armées, au pouvoir, qui sont impliqués : il y a aussi des directions, les classes, les micro-armées et les gangs autonomes ou non-autonomes et, surtout, les grands intérêts locaux ou globalisés. Mais c’est exactement la même chose dans nos propres pays : des élites avec leur argent et leur personnel, politique, journalistique, militaire, etc., qui se croient plus expérimentées du fait de leur longue histoire… Mais nous aussi, nous devons imposer notre présence !

Les Ukrainiens et les Russes nous donnent alors une leçon: qu’ici et maintenant nous devons agir comme eux. Que nous organisions la défaite de l’invasion militaire en aidant la résistance à cette guerre. C’est-à-dire que nous reprenions le fil de l’auto-organisation contre les puissants du monde, et de la solidarité concrète avec toutes celles et tous ceux qui sont dans le viseur, aussi difficile que cela puisse être pour nous. Ils en ont un besoin urgent, bien sûr, mais nous en avons tout aussi besoin dans le reste du monde, pour contrer plus généralement le capitalisme triomphant et ses barbaries rivales.