De Londres à Santiago, boire pour oublier

Les Britanniques comptent-ils toujours sur « l’éponge bénie de l’amnésie » ? Que pensent les Russes de « leur » guerre ? Enjeux atomiques de Zaporijia en Ukraine à Bouchehr en Iran, commerce d’or au Surinam, ainsi qu’une présentation par Renaud Lambert de « La bataille pour le Chili » — où une partie de la gauche semble fort déçue par le peuple — sont au sommaire de cet épisode.

On s’arrête, on réfléchit, et on efface l’ardoise. Grâce à « l’éponge bénie de l’amnésie » dont parlait le futur ex-premier ministre britannique Boris Johnson à CNBC en 2013. La chaîne l’interrogeait sur ses frasques d’étudiant.

Lucie Elven se penche la culture de la beuverie au Royaume-Uni, tressant élégamment les sources pour aborder son sujet : « Partout, l’alcool joue le rôle de lubrifiant des rouages de cette machinerie grinçante qu’est la société. » Évidemment, il n’en va pas de même en Écosse ou en Angleterre, avant et après la pandémie, à West Ham ou au 10, Downing Street :

Alors que le pays se serre la ceinture face à l’explosion du coût de la vie, plus d’un Britannique sur quatre déclare avoir réduit sa consommation d’alcool depuis la fin de l’année dernière. Au moment précis où la population n’a sans doute jamais eu autant besoin de l’« éponge bénie de l’amnésie ».

« Apportez votre bouteille ! »

Dans Le Monde diplomatique d’octobre 2022, il est à nouveau beaucoup question du conflit russo-ukrainien, et d’atome, du civil au militaire. « Conflit » ou « guerre » en Ukraine : même en Russie, nul ne doute plus que c’est bien de cela qu’il s’agit.

En Russie, le mot « guerre » n’est plus tabou

Réduite au silence, habituée par la communication au rythme de la guerre, une partie des Russes interrogés par Christophe Trontin estime encore que :

D’ici à l’hiver, l’affrontement russo-occidental se jouera sur le terrain économique : pénurie contre pénurie. (…) La débâcle économique sous Eltsine est dans bien des mémoires. Or la crise actuelle s’annonce beaucoup moins sévère que le traumatisme collectif des années 1990. Les Russes veulent se convaincre que, même privés du dernier iPhone, de parmesan, de voyages à Paris, la vie restera possible. « À cause de l’inflation, l’Union européenne craquera la première et sera forcée de négocier », entend-on souvent.

«Des millions de roses écarlates»

Archi populaire dans le pays, couronnée « artiste du peuple » six jours avant la dissolution de l’URSS en 1991, Alla Pougatcheva, 73 ans, s’est publiquement opposée le 18 septembre dernier à la guerre en Ukraine, où l’on meurt, a-t-elle dit, « pour des objectifs illusoires, qui transforment notre pays en paria et pèsent sur la vie de nos concitoyens ».

On lit sur Wikipédia que Pougatcheva fut la première artiste à visiter Tchernobyl après la catastrophe nucléaire de 1986. Elle y a chanté pour soutenir l’effort de nettoyage après l’explosion de la centrale ukrainienne. Tchernobyl n’est plus en service aujourd’hui, mais les troupes aéroportées russes ont quand même tenu à en prendre le contrôle dès le premier jour de l’invasion de l’Ukraine, le 24 février.

Entre Kiev et Moscou, l’enjeu du nucléaire

Ce lieu symbolique (du fait de la catastrophe de 1986) est hautement stratégique car il abrite de nombreux déchets nécessaires à la fabrication de bombes atomiques. (…) Dès le début de la guerre, Vladimir Poutine [a fait] des centrales nucléaires ukrainiennes (quinze réacteurs VVER à eau pressurisée de conception soviétique) un objectif majeur de son « opération ».

Les Russes ont occupé Tchernobyl jusqu’au 31 mars dernier, rappelle Marc Endeweld dans son enquête. Ils viennent d’annexer la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijia, la plus grande d’Europe, occupée elle aussi très tôt dans le conflit. Là ne se joue « pas uniquement un enjeu de sûreté nucléaire : la centrale représente un but de guerre à vocation géopolitique ».

Avant l’occupation russe, les six réacteurs fournissaient 20 % de l’électricité ukrainienne. L’indépendance énergétique de l’Ukraine se joue donc dans les coulisses du conflit, notamment autour de la question du raccordement électrique de la centrale.

Des intérêts géostratégiques, il est aussi question dans l‘analyse de Pierre Rimbert en « une » : « Les faux-amis de l’Ukraine » examine l’accord d’association politique et d’intégration économique conclu par Kiev et l’Union européenne en 2014, au terme de négociations entamées à la fin des années 2000. « L’épisode a joué un rôle crucial dans la généalogie du conflit entre la Russie et l’Ukraine. »

Si les conséquences géopolitiques et militaires de ce choix n’échappent à personne, le coût social de l’accord d’association avec Bruxelles reste un sujet tabou. S’y dessine pourtant le concentré des décennies de désindustrialisation subies par la classe ouvrière européenne dans les années 1980 et 1990.

On écoute un de ces faux-ami de Kiev, cité dans l’article, le chancelier allemand Olaf Scholz, c’était le 29 août dernier à Prague :

« Je suis favorable à l’élargissement de l’Union européenne, pour inclure les États des Balkans occidentaux, l’Ukraine, la Moldavie et, à terme, la Géorgie. » - Olaf Scholz, 29 août 2022

En résumé, selon Pierre Rimbert : les Occidentaux, et notamment les Allemands soutiennent certes militairement les Ukrainiens, mais c’est pour mieux les exploiter ensuite.

L’Ukraine et ses faux amis

Sur le plateau des Guyanes

La fatalité de l’or au Surinam

Notre envoyée spéciale nous a envoyé quelques bandes, comme ici dans un marché de la capitale Paramaribo, qui à elle seule concentre la majorité des 600 000 habitants du pays. Elle nous raconte aussi l’histoire de Prince Koloni, l’enfant du plateau, qui partage sa vie entre une roulotte au bord du fleuve Maroni et sa carrière internationale. Comme de nombreux Surinamiens, il a déjà pratiqué l’orpaillage.

D’autres articles à lire ou à écouter…

  • sur le dilemme de l’or noir écossais ;
  • sur le PCC chinois — qui tient ce mois-ci son XXe Congrès, congrès « hors-norme » au terme duquel le « président de tout », Xi Jinping, sera désigné pour la troisième fois de suite, une première depuis Mao ;
  • sur la Batuk (l’unité d’entraînement de l’armée britannique au Kenya), objet d’un « déluge de poursuites » depuis la levée de son immunité diplomatique en 2016 ;
  • sur la sélection génétique généralisée, dans un article de Jacques Testart, pionnier des fécondations in vitro, effaré par le niveau actuel des débats bioéthiques ;
  • sur Parcoursup, la « plate-forme de l’angoisse », et sur le handicap, première cause de discrimination en France, qui fait déjà l’objet de nombreux commentaires (son auteure, Laetitia Delhon, s’y attendait) ;
  • sur la pratique arbitraire du « rappel à la loi », solution magique des magistrats du parquet pour éloigner les indésirables — le rappel à la loi sera remplacé par l’avertissement pénal probatoire à compter du 1er janvier 2023 ;
  • et, enfin, sur la crise actuelle de la mondialisation, grâce à Raúl Sampognaro, qui analyse l’impact de la pandémie sur le commerce.

La bataille pour le Chili

Avec Renaud Lambert

L’article de Renaud Lambert porte bien au-delà du Chili, son sujet du mois dans le mensuel comme dans Manière de voir.

Au Chili, la gauche déçue par le peuple

Lorsque les médias sont aussi concentrés qu’au Chili, organiser un référendum sans réformer le secteur revient à élever les patrons de presse au rang de grands électeurs. Mais ce phénomène suffit-il à élucider le rejet, en septembre dernier, d’un projet de nouvelle Constitution ? Ou existe-t-il d’autres raisons pour expliquer que le peuple ne vote pas toujours comme les progressistes le souhaiteraient ?