Une interview lumineuse d’Iryna Tsilyk depuis Kiev

Avec son sourire, sa poésie qui capte l’essentiel de la vie quotidienne dans l’Ukraine en guerre, Iryna s’invite chez nous. Elle fournit quelques clés pour comprendre ce qui s’est passé depuis le 24 février. Au-delà de toutes les divergences ou des doutes qui peuvent porter sur l'analyse politique, cette voix me paraît essentielle pour comprendre la situation "du bas" et au plus profond de cette société.

Iryna Tsilyk est une poétesse, l’auteure de récits pour enfant. Elle est également un réalisatrice.

Son documentaire « La terre est bleue comme une orange » (le titre est emprunté à un poème d’Eluard) est magique. Il parle de la guerre presque sans la montrer, à partir d’une famille où tous les adultes sont des femmes. Comment cette famille ouvrière du Donbass a transformé la guerre en activité artistique, comment elle a pu résister pendant des années en se filmant, en se mettant en scène alors que les bombardements, les immeubles éventrés, les tanks étaient bien réels.

Tout commence par la recontre d'Iryna et de Myroslava, la fille aînée, lors d’un stage de création artistique pour enfants. La cinéaste a été captivée par la créativité de cette ado, sa volonté de survivre à la guerre en découvrant l’art. Iryna est s'est liée à elle bien au-delà du stage, lui a rendu viste, a fini par s'intégrer dans cette famille, sans hommes adultes, composée de trois générations humaines et de nombreux chats. Une famille qui me faut penser à celles que Kore Eda filme au Japon. Même s'il existe des liens biologiques entre les trois générations humaines et peut-être entre les chats, l'essentiel est ailleurs. L'intimité d'Iryna avec la famille a enfanté ce documentaire, pont tendu entre le Donbass et chaque lieu où il sera vu. Un pont d’espoir plus que de douleur. Une ouverture vers la solidarité réciproque plutôt que vers la compassion envers des victimes silencieuses.

Ce film est émouvant, simple. Il dissimule sa beauté profonde derrière un jeu enfantin et léger. On joue à la guerre tout en la vie, on la joue pour continuer à vivre autre chose que la guerre. On est dans le Donbass à Krasnohorivka, une petite ville ouvrière sous le feu de l'armée russe depuis 2014. Ne cherchez pas à la localiser aujourd'hui. Elle a été presque entièrement rasée après février 2022. Même si elle devait disparaître, ce film la perpétuera. Cette joyeuse lignée de femmes, aujourd'hui exilées en Lituanie, avec tous leurs chats bien sûr, restera une Krasnohorivka magique, insouciante des frontières. Un Macondo du Donetsk.

Dans son interview, Iryna parle de sa vie à Kiev avec son fils de douze ans, de son mari l'écrivain Artem Chekh qui est au front. Une interview difficile à réaliser. Entre les alertes des bombardements, les coupures d’électricité quotidiennes et longues, les interruptions d’internet, c’est Iryna qui rayonne et nous donne de l’énergie.

Iryna Tsilyk est née le 18 novembre 1982 à Kiev. Elle est diplômée de l’université Karpenko-Kary pour le théâtre, le cinéma et la télévision. Elle écrit de la poésie et des livres pour enfants. Sa filmographie commence par des courts métrages : « Heure bleue » (2008, 10’, « Вдосвіта »), « Commémoration » (2012, 24’, « Помин »), Maison (2016, 12’, « Дім »), « Tayra » (2017, 10’, "Тайра"), Môme (2017, 15’, « Малиш »). Son premier long métrage est « La terre est bleue comme une orange » (2020, 74’, « Земля блакитна, ніби апельсин ») qui a obtenu plusieurs prix prestigieux dans des festivals internationaux. Son dernier film vient de sortir. Son titre original ("Я і Фелікс" ) se traduit en français comme « Moi et Félix". Il circule en anglais sous le titre « Rock, Paper, Grenade » (2022, 90’).

Cette vidéo fait partie d'une série artisanale que nous réalisons depuis 4 mois "Connaissance du cinéma d'Ukraine". Parce que nous sommes convaincus qu'à travers les créations de la génération de cinéastes de l'après-Maïdan, on peut trouver des éléments d'explication parfois plus utiles que de nombreuses analyses politiques figées dans des certitudes sans faille. L'art véritable questionne, creuse l'intimité du monde et nous ouvre à des remises en question.

Vous pourrez voir à Bruxelles "La terre est bleue comme une orange". La projection est prévue dans le cadre du festival "Elles Tournent", le samedi 25 mars dans l'après-midi au Vendôme. Iryna est invitée à cette projection. Elle sera heureuse de vous rencontrer si les circonstances de la guerre ne l'en empêchent pas.

Si vous voulez projeter le film ultérieurement; n'hésitez pas à contacter le Comité belge du réseau européen de solidarité avec l'Ukraine: resu.enso@gmail.com

Vous pouvez aussi voir ce film (et 150 autres !) sur le site de streaming du cinéma ukrainien indépendant Tak Flix.

https://www.youtube.com/@solidarukraine8297/videos

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