Le droit des femmes en Ukraine

Author
Darina Sainiciuc
Date
June 14, 2022

Avant 2022

Pour mieux comprendre quelle est la place des femmes aujourd’hui en Ukraine, pourquoi celles-ci font plein de choses, il y a tout d’abord besoin de rappeler quelques faits historiques. Il faut notamment retourner en 1920 en Russie, où les femmes obtiennent le droit d’avorter. Pour l’Ukraine, qui intègre l’URSS en 1922, les femmes ont le droit d’avorter dès 1922 alors qu’en France, par comparaison, il faudra attendre 1975.

Ensuite, pour comprendre pourquoi les femmes ont une place très importante aujourd’hui dans la résistance et dans l’économie, il faut rappeler qu’en Ukraine, le système paritaire, de quotas, existe depuis des décennies, alors qu’en France il existe seulement depuis quelques années. Le Parti Communiste a en effet institué des quotas : les femmes avaient ainsi le droit d’être au pouvoir, d’être directrices d’usine, de faire des études supérieures et donc de pouvoir être ingénieures. Tout cela a fait que la place des femmes était égale à celle de l’homme : le socialisme a fait que la femme était égale à l’homme.

Cela, c’était durant le communisme, le socialisme et c’est resté dans un premier temps après la chute de l’Union soviétique. Mais c’est après la chute, que les femmes se sont beaucoup engagées dans la démocratie, dans la défense des valeurs humaines, dans « le nationalisme ukrainien » et par la suite dans des clubs : ce sont par exemple les femmes qui ont créé les premiers clubs dans les entreprises agricoles.

Puis on a connu des femmes engagées dans la vie quotidienne, des ministres.

Avec l’arrivée du « capitalisme sauvage » dans les années 2000, la place des femmes s’est vraiment dégradée. La femme est notamment devenue un objet sexuel, des réseaux de prostitution et le tourisme sexuel se sont développés.

Surmonter les dangers de l’exil

Par conséquent aujourd’hui, les femmes ukrainiennes qui arrivent à la frontière en fuyant la guerre sont en danger : si elles n’ont pas bien préparé leur voyage, elles se retrouvent dans des réseaux de prostitution, des réseaux de dons d’organes. C’est pourquoi beaucoup d’associations se sont engagées pour les protéger et les aider. Mais les femmes ukrainiennes également, avec leurs enfants, étaient beaucoup préparées à ce risque et donc, en arrivant à la frontière, nombre d’entre elles se sont protégées en refusant de monter dans des bus qu’elles ne connaissaient pas. En Pologne il y a eu beaucoup de covoiturages qui se sont organisés, les Polonais ont beaucoup aidé. Et à Lyon, nous aussi nous avons pris des dispositions pour protéger leur arrivée : avec l’association Lyon Ukraine il y a eu des convois de réfugiés depuis la Roumanie et depuis la Pologne. Au début, c’était grâce à nos réseaux, car on a toujours des amis, des amis d’amis qui ont fui. Moi je pilotais une partie des convois partant de Tchernivsty, la ville d’où je viens, à la frontière roumaine, et certains convois depuis la Pologne que l’on sécurisait depuis la France.

Il y a eu cette fuite au printemps pour sauver ces familles et pour qu’elles arrivent quelque part. Et il y a aussi ceux qui sont restés, et ils sont nombreux : ils ont choisi de rester sur les territoires occupés parfois libérés par la suite, ou ils ont fui à l’ouest. Il y a 6 millions de déplacés en Europe, des femmes et des enfants pour la plupart, et 10 millions de déplacés internes. Dans la région de Lviv, on a accueilli, je pense, l’équivalent de plus de 100 % de la population. Imaginez-vous 10 millions de personnes qui arrivent sur un nouveau territoire. Il y a donc tout un réseau de solidarité qui s’est mis en place. Chaque ville a sa défense civile. Comme il y a tous les soirs un couvre-feu partout en Ukraine, la défense civile accueille à l’entrée des villes les déplacés traversant une région et ne sachant pas où dormir : elle leur indique où être nourri, logé, protégé.

Dans la ville de Tchernivsty, qui n’a jusqu’alors pas été bombardée, il y a beaucoup de choses qui se sont mises en place pour les déplacés : pour les aider, pour la création d’emploi, car beaucoup d’entreprises ont été délocalisées, il y a même des consulats qui y ont été délocalisés.

Dans les territoires occupés en outre, les conditions des femmes se sont beaucoup dégradées. On a beaucoup entendu parler des violences faites aux femmes, des viols, pour détruire la résistance, pour détruire psychologiquement surtout. Je suis engagée aussi dans une autre association catholique d’entraide, qui recueille les témoignages de femmes qui sont arrivées et dont leur mari, leurs proches, ont été tués devant elles : toute la charge psychologique qui en découle est aussi très dure à gérer.

Surmonter les difficultés en Ukraine

Mais il y aussi d’autres aspects, comme des difficultés rencontrées par les femmes. Je connais par exemple une dame comptable, qui approche la soixantaine et a plus ou moins un bon salaire : elle m’a fait part de pressions à son travail pour qu’elle parte à la retraite, pour qu’elle laisse la place aux jeunes femmes qui ont besoin de travail et qui seront donc moins payées. Cette situation est très dure à vivre car elle aussi a une famille à nourrir. Tout le monde a besoin de travailler, besoin de faire des choses. Il y a donc aussi ce manque de ressources financières en Ukraine. Dans la fonction publique, les salariés reçoivent leur salaire sans les primes, donc cela diminue leurs revenus. Dans le privé, la partie week-end et congés payés n’est plus payée. Donc il y a vraiment très peu de salaire. Et les femmes se retrouvent à gérer les enfants qui ne sont pas à l’école et à trouver en même temps des ressources pour nourrir la famille.

J’ai connu un réseau d’entrepreneuses à Kiev, qui avant 2022 faisait des projets entrepreneuriaux, aidait au financement des start up. Il faut dire qu’en Ukraine la partie technologie était d’assez haut niveau, avec nombre de start up et d’industries High T. Suite à l’intervention russe de 2022, elles ont eu des fonds de la part de l’Allemagne qui leur permet de donner des primes de 6000 euros pour que des femmes retournent sur les territoires qui étaient occupés, et ont été libérés, pour ouvrir une boulangerie, pour d’autres activités pour que la vie reprenne. Car si on a une boulangerie, on a un lieu de rencontre, cela permet d’avancer, de se dire qu’il y a un avenir. Enfin, quant à la place des femmes dans l’armée, la guerre a éclaté en Ukraine en 2014, pas en 2022, et c’est à ce moment là que elles y ont pris une plus grande place.

Il n’y a pas la même lutte pour les droits des femmes en Ukraine et en France, car on les a acquis, puis on les a perdus plus qu’on ne les a gardés. Et c’est normal pour une femme d’aller à l’armée, d’aller au travail, de soutenir sa famille, de soutenir son pays. C’est courageux des deux côtés, de rester sur place ou de changer de pays, sans connaître la langue et espérer un avenir meilleur. En espérant que le futur sera meilleur pour tous et pour l’Ukraine.

Bulletin publié par le Collectif 69 [France] de soutien au peuple ukrainien (qui a organisé le 14/06/2022 4 heures en solidarité avec le peuple ukrainien) : Association Lyon-Ukraine ·Comité Ukraine 33 ·Association Européenne de l’Éducation AuRA ·ATTAC Rhône ·Bel’Art (association culturelle biélorusse) ·Comité d’Information pour une Syrie Libre et Démocratique ·EELV 69 ·Émancipation 69 ·Ensemble ! 69 ·FSU 69 ·La Cimade Lyon ·Ligue des Droits de l’Homme 69 ·L’Insurgé ·MAN ·MFPF 69 ·Nouveau Parti Anticapitaliste ·Nouvelle Donne 69 ·UD CGT 69 ·Union des Fédéralistes Européens AuRA ·Union syndicale Solidaires Rhône